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Evelyne Ternant : Pour des batailles politiques efficaces sur l’inflation !

Un enjeu d’explication de fond, qui nécessite un argumentaire en direction des communistes, et une communication extérieure qui distinguent bien les mesures d’urgence (salaires, blocage des prix, baisse des taxes) des mesures structurelles.

L’inflation constitue une immense violence sociale et un problème politique majeur. Elle bouleverse les rapports sociaux, pas seulement en France mais à l’échelle de la planète, avec une paupérisation accélérée de larges fractions de la population et le creusement des inégalités entre les pays. En France, des catégories sociales jusque-là préservées des grandes difficultés de fin de mois sont désormais touchées. Quand 80% des salariés ont un salaire de moins de 3000 euros, près de 50% gagnent moins de 2000 euros, quand la retraite moyenne se situe à 1531 euros bruts, le choc de vie d’une augmentation de 25% des produits alimentaires depuis janvier 2022 et de 27% de l’électricité depuis janvier 2023 est énorme ! 

Une bataille politique majeure


            C’est donc à bon escient que le parti communiste a fait de l’inflation, ce «tremblement de terre social »[1],  une bataille politique majeure. Un appel aux fédérations et sections a été lancé pour des actions publiques ; il a débouché sur de nombreuses initiatives locales devant les préfectures, les stations-service, les supermarchés avec des distributions du tract national. Le rassemblement national prévu le 18 novembre près de Bercy, et finalement annulé pour cause de manifestation simultanée pour la paix devait donner   un écho médiatique à notre préoccupation sur l’inflation.
            Cependant, la question qui nous est posée est certes de ne pas laisser la question sociale étouffée sous le poids des angoisses de la guerre et de la situation internationale, mais elle est plus encore, si nous voulons ne pas en rester au stade de la communication, d’être en capacité de parvenir à des mobilisations avec des citoyennes et des citoyens, construites avec des forces issues du mouvement social et associatif, et portant sur des mesures précises, à la fois réalistes et radicales. Il y a sur l’inflation un champ très vaste de propositions qui peuvent ouvrir des chemins de transformation. Cela suppose d’aider les communistes à mener dans la durée une bataille de fond, articulée étroitement à notre projet, sur cette inflation qui n’est ni accidentelle, ni temporaire, mais structurelle et durable, car elle vient des profondeurs du système économique : nous sommes en effet face à une « inflation du capital [2]». Par là même, elle ne sera combattue qu’au moyen de mesures qui s’attaquent frontalement aux logiques qui sous-tendent la formation des prix dans le fonctionnement du capitalisme actuel. La violence de l’inflation accélère l’urgence des transformations portées par notre projet communiste, d’où la nécessité d’une réflexion approfondie pour que cette bataille sur l’inflation dégage effectivement un tel horizon.


            D’abord, un diagnostic des causes

C’est d’abord un argumentaire de qualité sur les causes de l’inflation dont nos camarades doivent disposer pour être à l’aise sur le sujet. Cette inflation qui n’est pas due à un excès de demande, compte tenu des tendances à la récession. Elle  n’est pas due aux coûts salariaux, qui ont subi au contraire plusieurs décennies de pression, sous l’effet du chômage, des délocalisations et des politiques d’austérité. Malgré l’arrogance des profits et des dividendes, on ne peut même pas la réduire simplement une « inflation des profits », comme le fait une partie de la gauche. Si elle n’était qu’ « inflation des profits », il suffirait de déplacer le partage de la valeur ajoutée en faveur des salarié∙e∙s et de sanctionner des « super-profits ». Aussi urgent soit-il d’arracher des hausses de salaires, cela ne permettrait pas de juguler l’inflation. En effet,  c’est en amont de la répartition des revenus que « l’inflation du capital »  plonge ses racines, dans des conditions de production placées sous la chappe de plomb des rapports capitalistes, avec quelques traits caractéristiques : 
une crise de productivité et de rentabilité provoquée par une croissance qui surdéveloppe le capital et écrase les dépenses humaines en emplois, salaires, formation ; la hausse des prix cherche à préserver la rentabilité de dépenses en capital de moins en moins efficaces.
-des pénuries et une insuffisance d’offre, qui viennent des choix de localisation des multinationales, qui se traduisent par des explosions de certains prix (puces électroniques, semi-conducteurs, papier, bois, matériaux de construction, aluminium). 

– un énorme déséquilibre ente la quantité de monnaie créée et les richesses réelles produites dû à la stratégie de croissance externe des entreprises, à l’enflure des marchés financiers, et aux politiques monétaires ; 

-l’abandon au marché de secteurs stratégiques et de biens communs, dont les folles variations de prix n’ont plus rien à voir avec les coûts de production : énergie, matières premières alimentaires comme le blé. 

C’est donc dans la sphère de production, au sein des entreprises, avec le soutien des banques, que s’expriment la logique du capital, ses pouvoirs de décision structurants sur « que produire, comment produire et où produire ». C’est là que se détermine la répartition primaire des revenus, là que s’exerce la dictature des marchés financiers, là que se produit la valeur ajoutée disponible pour développer les services publics, là que se forme la structure des coûts et des prix !
            C’est donc là qu’il faut engager des changements, faire prévaloir d’autres critères de gestion pour juguler l’inflation, et pour les faire prévaloir, instaurer d’autres rapports de pouvoir sur les lieux de travail. 


            Alors, quelles propositions ?

Des mesures d’urgence

Il y a bien sûr l’urgence des mesures immédiates pour mettre un coup d’arrêt tout à la fois à l’effondrement du pouvoir d’achat et à la spirale inflationniste, qui s’auto-entretient par les coûts des entreprises, qu’ils soient réellement subis ou anticipés. Ces mesures intègrent bien sûr une augmentation des salaires, des pensions et des minima sociaux qui, si elle prend en compte l’ampleur de la déflation salariale subie depuis des années, devrait aller bien au-delà du seul rattrapage des deux années de forte inflation que nous venons de traverser.  De manière temporaire, le blocage de certains prix, la détaxation de l’énergie peuvent aussi être envisagés. Mais il est facile de comprendre que si les racines de l’inflation restent vivaces et diffusent des augmentations de coûts,  le blocage des prix à la consommation est intenable dans la durée, de même que la réduction des recettes fiscales. Ces mesures d’urgence ont donc vocation à disparaître dès lors que les mesures structurelles, mises en place en même temps que les mesures d’urgence, produiraient leurs premiers effets.

Des mesures structurelles 

Des mesures ciblées

Prenons deux exemples :  les produits alimentaires et l’énergie, qui représentent les deux tiers de l’inflation. Il s’agit de maîtriser dans les deux cas les mécanismes de formation des prix. Sur les produits alimentaires, dont la hausse pénalise les consommateurs sans profiter pour autant aux paysans producteurs, mais est accaparée dans les profits des groupes de l’agrobusiness et la grande distribution, il faut envisager :

  1. d’instaurer des procédures transparentes et démocratiques de détermination et de contrôle des prix, avec tous les acteurs de la filière ;
  2. de mettre en place des dispositifs coercitifs pour encadrer les marges des groupes instaurer, à  l’opposé de Bruno Lemaire, qui leur demande « bien gentiment » de réduire un peu leurs profits ;
  3. d’agir pour déconnecter les prix des matières premières agricoles des grands marchés internationaux où règne une spéculation effrénée.  

Sur l’énergie, c’est encore plus facile. En France, l’électricité, produite à base de nucléaire et d’énergies renouvelables, est décarbonée. Son coût de production ne dépend pas des prix hautement spéculatifs du pétrole ou du gaz. Or, c’est sur une décision politique nationale inscrite dans la loi Nome que les tarifs réglementés des particuliers sont rattachés au marché européen de l’électricité, dont les cours sont indexés sur le prix du gaz. Une aberration totale, qu’il serait facile de corriger au niveau national par une nouvelle loi. 

Des mesures générales 

            L’inflation systémique requiert aussi des mesures d’ordre général pour faire émerger une autre logique économique que la rentabilité financière du capital, et parvenir à un changement profond des choix stratégiques des entreprises en faveur de l’emploi, de la formation et de la transformation écologique de la production.  Cela passe par la conditionnalité des aides publiques, le levier des financements bancaires, la modulation de l’impôt sur les sociétés et des cotisations sociales en fonction de l’utilisation du profit, l’accompagnement des PME-TPE pour réaliser les objectifs sociaux et écologiques. Des politiques publiques mettant fin à l’utilisation parasitaire de la création monétaire pour la consacrer au développement massif des services publics, contribueront également à maîtriser fortement l’inflation.  Il en est de même de la remise en cause des dominations internationales dont celle, écrasante, du dollar, qui peut paraître première vue hors sujet, mais à tort, car l’inflation résulte aussi de l’influence mondiale des taux d’intérêt américains et du fait que 60% des importations françaises hors Union européennes sont libellées en dollar ! L’inflation d’aujourd’hui, telle une pieuvre, déploie ses tentacules dans de nombreux domaines et touche de nombreuses variables économiques, car elle est née des réponses que le capital a apportées à sa propre crise systémique, en organisant la dérèglementation généralisée des marchés, la concurrence à tout va et la dictature des marchés financiers.

            Indexer les salaires sur les prix ???

Prendre l’inflation dans sa dimension systémique nous conduit à une connexion directe sur les propositions du projet communiste. Nous devons faire cet effort politique, même s’il est difficile, et trouver collectivement les chemins pour le populariser, sauf à en rester à la surface du mal et nous condamner à n’en traiter que les symptômes. Ainsi en est-il par exemple de l’indexation des salaires sur les prix, quand elle est présentée comme l’alpha et l’oméga de la protection des salariés. 

Le traitement du problème salarial d’aujourd’hui demande beaucoup plus qu’un alignement automatique et à date fixe des salaires sur l’évolution des prix. Il y a des exigences indispensables de réévaluation des salaires, d’élévation des qualifications et d’amélioration des conditions de travail qui expliquent en  partie les pénuries actuelles de main d’œuvre. De plus, l’indexation ne préserve pas le pouvoir d’achat, parce que la hausse des prix est continue, tandis que les salaires ne sont ajustés que périodiquement. Entre deux indexations, elles et ils perdent du pouvoir d’achat. Enfin, l’indexation peut favoriser une installation durable de l’inflation par le biais des anticipations des entreprises, lorsqu’elles  cherchent à augmenter leurs prix plus vite que les salaires. L’indexation des salaires sur les prix n’est donc ni le vice dénoncé à droite, qui a la hantise de l’enclenchement d’une spirale salaires-prix , ni la vertu espérée à gauche qui y voit la protection miracle des salariés sans qu’ils aient besoin de lutter. L’expérience belge de l’indexation est éclairante : le « coût salarial » n’a pas progressé plus vite qu’ailleurs, et les syndicats belges estiment aujourd’hui  que le dispositif « bride la négociation salariale et comprime les salaires ».

Comment mener des batailles politique efficaces sur l’inflation ? 

            Il y a d’abord un enjeu d’explication de fond, qui nécessite un argumentaire en direction des communistes, et une communication extérieure qui distinguent bien les mesures d’urgence (salaires, blocage des prix, baisse des taxes) des mesures structurelles. Ces dernières sont abordées dans notre communication actuelle sur deux points : la question du prix de l’électricité et la conditionnalité des aides publiques à des critères sociaux et environnementaux. Il faut aller plus loin et brancher notre campagne sur les mesures phare de notre projet : emploi-formation, monnaie, fiscalité, nouveaux pouvoirs et propositions européennes.
            Il y a ensuite besoin d’aider les communistes à mener cette bataille de fond, en se donnant l’objectif de construire des actions communes avec le mouvement syndical et associatif. Cela suppose de mettre à disposition, en plus de l’argumentaire général, des argumentaires  spécifiques sur certains sujets, et une aide à la prise d’initiatives,  par exemple :

-sur le logement, dont les charges et les loyers sont en train d’exploser, en rencontrant avec des associations de locataires, ou en menant des actions de longue durée auprès des citoyens, comme celle engagée à Besançon (documents joints) ;
sur les questions énergétiques, en lien avec les syndicats concernés ;
sur l’austérité forcée des collectivités locales, qui emmène directement à des propositions sur le financement des services publics et sur la fiscalité.

sur les questions des pénuries et des stratégies industrielles évidemment, en lien avec les luttes, avec la démonstration des prédations et nos propositions pour s’émanciper des marchés financiers et remettre l’emploi au cœur des solutions.  
            On ne mobilisera par les forces progressistes contre l’inflation sur des slogans faciles, car elle requiert une prise de conscience sur ses causes profondes et exige un chemin de luttes pour des changements qui deviennent vitaux pour l’existence humaine et la survie de la planète. Il en est de l’inflation comme des sujets majeurs de notre époque,  tels que le climat, la guerre et la paix : l’impérieuse nécessité que les citoyennes et les citoyens prennent rapidement en main leurs affaires, sur les lieux de travail comme sur les lieux de vie, et exercent pleinement leur souveraineté politique.


[1] Expression du discours de Fabien Roussel à la fête de l’Humanité.

[2] Expression donnée par Frédéric Boccara in Un chiffre expliqué. 2,6 %, l’inflation en octobre 2021 » blog de

la revue Economie et Politique, 16 novembre 2021-https://www.economie-et-politique.org/2021/11/16/un-chiffre-explique26-linflation-en-octobre-2021/

1 comment on “Evelyne Ternant : Pour des batailles politiques efficaces sur l’inflation !

  1. Pierre Assante

    Merci

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