La bataille politique sur les retraites qui s’annonce nous met à l’épreuve des travaux pratiques sur le rassemblement, tel qu’il est pensé dans le projet de base commune, quand il rappelle: «C’est dans les luttes et dans la bataille d’idées que cette large majorité de notre société peut s’affirmer comme une majorité politique, capable d’imposer démocratiquement au Parlement, au gouvernement et jusque dans tous les lieux de pouvoirs, des choix politiques ouvrant la voie à la construction d’une nouvelle civilisation.».
Faut-il se contenter d’une contestation de la réforme Macron, avec l’idée que réunir sur le Non permettra d’arracher une victoire, ou bien faut-il mener de pair l’opposition à la réforme et la proposition d’une réforme progressiste des retraites, en d’autres termes associer le NON et le Oui, pour que la crédibilité d’une alternative donne de la puissance à la protestation ?
Thomas Piketty dénonçait récemment la réforme des retraites sur France Inter en faisant valoir qu’elle accroît les inégalités entre les cadres d’une part, les employés et ouvriers d’autre part, qui n’ont pas fait d’études et ont des carrières longues. Les cadres en effet, avec 42 annuités et une entrée dans l’emploi en moyenne à 23 ans partent déjà à 65 ans. La réforme ne change rien à leur situation actuelle. Les 20 milliards d’économie recherchées par le pouvoir avec la réforme seront donc exclusivement payés par les travailleurs aux carrières longues, ceux qui ont les métiers physiques les plus durs et l’espérance de vie la plus courte. Le raisonnement est imparable, mais peut-on vraiment espérer mobiliser l’ensemble du salariat en appelant à l’altruisme des catégories sociales censées être épargnées par la réforme ?
La contestation sur la base exclusive du creusement des inégalités non seulement ne construit pas l’unité du salariat, mais ignore la réalité de la crise du travail, qui touche toutes les catégories du salariat. La parcellisation des tâches, la perte de sens du travail, l’absence de maîtrise sur l’organisation du travail et sur les décisions stratégiques sont durement ressenties par toutes et tous, cadres compris. Cette aliénation génère de multiples réactions qui vont de la démission «discrète» de l’implication minimale dans le travail, au turn over ou au burn out. L’opposition entre la prétendue facilité des carrières des diplômés, censés pouvoir facilement travailler jusqu’à 65 ans et les autres relève de la mythification des métiers dits intellectuels. En réalité, les rapports d’exploitation capitalistes, et leurs exigences de productivité et de subordination à la rentabilité du capital affectent de manière certes différenciée mais sans faire beaucoup d’exception les diverses catégories de salariés.
L’intérêt commun des salariés, des ouvriers, employés, techniciens et cadres supérieurs est donc de voir l’âge de la retraite diminué, le niveau des retraites protégé, le rapport au travail émancipé, le temps libre agrandi, dans un progrès général de civilisation, qui permette le plein épanouissement de chacun, dans les activités individuelles ou collectives du hors travail. L’intérêt commun est de se mobiliser pour une réforme progressiste des retraites.
L’unité du salariat ne se fera pas sur le Non au projet de retraite Macron, mais sur un Non accompagné d’un Oui à un projet crédible de départ à la retraite à 60 ans, assorti d’une revalorisation des pensions.
Où en est-on à gauche sur un projet commun de réforme des retraites?
Le programme NUPES a été aligné sur celui de la FI, soit une retraite à 60 ans avec 40 annuités, malgré la réticence du PS à revenir sur les 42 annuités imposées par la réforme Touraine, qui a organisé dans la durée la baisse du niveau des retraites. La proposition du PCF d’inclure les années d’études dans les annuités a été refusée sous la pression du PS et d’EE-LV, avec des avis mitigés sur le sujet au sein de la FI. Ces différences entre les propositions trouvent leur racines dans des divergences importantes sur les modalités de financement de la réforme. Pour le PCF, la retraite à 60 ans, avec inclusion dès 18 ans des années d’études et de formation, un taux de remplacement de 75% sur la base des 10 meilleures années pour le secteur privé et de l’indice terminal pour les fonctionnaires a un coût de 100 milliards d’euros, dont le financement repose sur la création massive d’emplois, la fin des contrats précaires qui affectent particulièrement les jeunes et les femmes, et une hausse des cotisations sociales employeurs telle que les entreprises soient incitées à développer les dépenses humaines et dissuadées à suraccumuler le capital. La réforme des retraites est donc en interrelation étroite avec la transformation des rapports sociaux nécessaires pour éradiquer le chômage et changer les modes de production et de consommation. Une interrelation qui fonctionne dans les deux sens, car une réforme des retraites ambitieuse aurait aussi un effet retour sur l’organisation économique et sociale, en poussant par exemple à la mise en place de projets de sécurité emploi-formation dès lors que la retraite à 60 ans serait assurée pour une carrière complète d’études, de formation ou d’activité commencée à 18 ans .
Sans cette perspective de radicalité, il n’est pas possible de financer une réforme aussi ambitieuse, il n’est pas possible d’améliorer le système actuel, ne serait-ce que modérément, en comptant sur le levier de la CSG qui est payée à plus de 80% par les salariés. De plus, la cotisation sociale, qui est un prélèvement à la source sur la valeur créée par les salariés, leur ouvre logiquement des droits de gestion de la protection sociale, anéantis au fil des contre-réformes depuis l’œuvre d’Ambroise Croizat, mais incontournables dans une perspective d’avancée démocratique.
C’est parce-que le PS et EE-LV n’estiment pas possible de disputer au patronat le pouvoir économique et d’enclencher une dynamique de création massive d’emplois qu’ils réduisent les objectifs de réforme des retraites. Quant à LFI, l’estimation à 20 milliards d’euros seulement de la réforme des retraites proposée dans «L’avenir en commun» montre qu’elle ne garantit ni un taux de remplacement à 75% des salaires, ni un départ à 60 ans pour tout le monde, avec la contrainte des 40 annuités.
Comment dans ce contexte pas très simple construire un rassemblement porteur dans cette bataille sur les retraites ?
Une stratégie strictement défensive ne rassemblera pas toutes les catégories du salariat. Une mobilisation large ne se fera que sur un gagnant gagnant pour toutes et tous, c’est à dire un objectif de à 60 ans pour une retraite à taux plein, que seule la proposition PCF garantit.
Il faut donc mener de pair le rassemblement contre la réforme Macron et le débat sur une issue progressiste, dans une bataille offensive et dynamique qui mette en perspective l’alternative à construire, en phase avec le mouvement populaire. Le pire serait de compter sur le seul rejet de la réforme Macron pour convaincre, ou d’occulter le débat à gauche par des formules trompeuses. Faisons confiance à l’intelligence collective des citoyennes et citoyens qui perçoivent à quel point le pouvoir nous emmène dans le mur, mais ont aussi l’intuition des exigences et des difficultés du changement de société. Faisons confiance à notre capacité à faire bouger les lignes au sein des forces de la NUPES dans le sens de plus d’ambition et plus de cohérence, hors du huit clos des rencontres inter-partis, grâce aux efforts de conviction que nous mènerons en direction de la population, du mouvement social, mais aussi des militants et sympathisants des divers horizons de la gauche.
C’est le moment de conjuguer rassemblement et mise en débat de notre projet, d’associer les initiatives unitaires et autonomes, et d’apporter au mouvement social un haut niveau de politisation et de conscience. Si on me permet de reprendre une expression galvaudée, c’est le moment de faire du «en même temps» !
Je partage pleinement l’intervention d’Evelyne qui conjugue luttes des classes, pouvoirs, radicalité dans l’opposition à Macron et les perspectives d’une réforme s’inscrivant dans une transformation progressiste de la société ayant pour socle l’éradication du chômage et de la précarité, la formation et les salaires.
Une intervention qui pose les termes du débat sur le rassemblement et qui montre la nécessaire primauté des mobilisations sociales et sociétales.
Voila une contribution que j’aurais bien aimé retrouver dans mon journal l’Humanité qui se fait l’écho aujourd’hui d’une position d’aurélie TROUVE LFI dont le mouvement ne prévoit que 20 milliards pour financer le retour à 60 ans !!!