- La récession est en train d’arriver.
Cela conditionne profondément la situation politique et les mentalités. Le PIB a reculé en France et aux Etats-Unis au 1er trimestre. A l’automne, il est de plus en plus probable qu’arrive une vague de suppressions d’emploi et de pauvreté. Cette déferlante, dont l’acceptation est en train d’être travaillée dans les esprits y compris par la situation de guerre, ne peut plus être empêchée par le « quoiqu’il en coûte », ou très difficilement, car la politique de la Fed, de la BCE et des banques centrales est en train de se retourner sous pression du grand capital (dont la hausse des taux d’intérêt fait partie) et de l’inflation. Cette hausse des taux va avoir pour effet suppression d’emploi, assèchement des services publics et appauvrissement accéléré car puisqu’elle augmente le coût du capital, c’est sur le coût du travail, l’emploi et les dépenses sociales que l’on va taper.
Il faut mesurer le degré de cynisme que recèle la déclaration de l’économiste en chef de la banque E. Rothschild, Mathilde Lemoine, lorsqu’elle se félicite que la Fed « soit capable d’arbitrer en faveur du chômage » !
Nous avons une combinaison de crise de plusieurs types, bien au-delà de la crise économique mais en lien avec elle, guerre en Europe et, par Ukraine interposée, entre deux puissances nucléaires, crise de sens, voire de civilisation, crise de régime, comme je l’ai écrit assez tôt, qui se développe en crise institutionnelle politique visible.
Face à cela, tout est fait pour masquer ce qui est fait, les voies de riposte et responsabilités.
On désigne « l’autre », le voisin, l’étranger, comme le responsable pendant que tout est fait pour conforter le capital, la finance et les armes, au nom des prétendues « valeurs occidentales ». L’affrontement, c’est celui-ci : capital, armes et autoritarisme versus services publics, emploi et émancipation démocratique.
- Dans quel « moment » sommes-nous ?
Pas un simple « approfondissement » de la crise. Plutôt à la veille d’un nouvel épisode d’éclatement catastrophique. Il nous faut donc alerter. Nous ne sommes pas du tout en période de « reconstruction » du pays, mais l’enjeu est de résister, donner du sens et construire des solutions, des réponses partagées par le grand nombre. J’ai déjà eu l’occasion de l’expliquer durant la pandémie. Je ne suis pas sûr que nous en tirions les conséquences politiques.
Les élections font apparaître le paysage politique suivant :
- Une extrême-droite aux portes du pouvoir
- E. Macron majoritaire, mais fragilisé, ce qui est une opportunité pour des luttes et pour arracher peut-être certains reculs
- Les droites très hautes, avec environ les 2/3 des voix et les ¾ des députés (il faut évidemment y inclure E. Macron, même s’il a su depuis 2017 attirer des « modérés » qui pourraient basculer à gauche, ou qui ont été à gauche).
- Les droites ne sont pas un bloc uni, mais se retrouvent sur les mesures anti-sociales. C’ets pourquoi, je ne suis pas pour parler de « trois blocs », mais plutôt de deux blocs gauche/droite, dont l’un, la droite est divisé en sous-blocs.
- La gauche a su s’unir, dans un sursaut salutaire bien que sur un mauvais accord, et avoir une représentation à l’Assemblée nationale plus conforme à son poids dans le pays. Mais elle réalise son plus deuxième plus faible score de la 5ème République…
- Enfin, le retour du PCF dans le paysage n’est pas un des moindres éléments de la situation. Mais qu’allons-nous en faire ? D’un côté nous avons maintenu un groupe de députés communistes, en association avec les ultra-marins, mais de l’autre dans nombre de zones de force du parti, l’accord électoral nous a évincé, particulièrement en région parisienne. Et il peut y avoir un certain désarroi chez les communistes.
Sur la NUPES, je partage ce qu’a dit Evelyne. D’abord, pouvons-nous dire que ce programme est un « pot commun » auquel nous apportons les uns et les autres ? Je souligne, l’accord programmatique de la NUPES ne fait pas le poids. En particulier, il ne se donne pas les moyens financiers et les pouvoirs à la hauteur des exigences de la situation. Il y a un problème de cohérence avec les objectifs sociaux affichés (dont certains objectifs discutables, comme le revenu d’existence). Tout est financé essentiellement par les impôts (avec d’ailleurs une part importante sur les couches moyennes). Cela ne peut pas marcher. D’une certaine façon les gens le sentent bien. Les profits des entreprises mais surtout le crédit sont essentiels, décisifs.
C’est dire si l’enjeu est au confluent des idées et des luttes « comment changer les choses », quels moyens financiers mobiliser et de quels pouvoirs s’emparer ou quels pouvoirs créer, avec en leur cœur la question des entreprises, les pouvoirs dessus, et des banques, comme une question politique. Et il est vrai que nous avons peu réussi à faire avancer cette question décisive durant la campagne. Cela doit faire partie de l’évaluation que allons faire collectivement des deux campagnes, présidentielle et législative.
Ni isolement sectaire, ni fusion dilution qui recommencerait, en pire, les collectifs anti-libéraux… Ce qui implique que le parti prenne des initiatives, ouvertes à toutes les composantes de la NUPES, et que nous maintenions le lien avec celles et ceux qui luttent et ont été, sont, attirés par la NUPES. C’est pour partie notre monde qui est dans la NUPES, ne lâchons pas la proie pour l’ombre. Cherchons plutôt à conjuguer.
- Crise de Régime
Je pense qu’il nous faut la prendre très au sérieux. Ne pas être dans une posture de « conservation » au motif, juste, de ne pas « casser » il nous faut contester le système et jouer son dépassement, avec des propositions. Tout particulièrement monter le niveau sur les propositions institutionnelles, économiques et sociales. Contester Macron, non pas « à blanc », mais parce qu’il ne répond pas aux exigences de la situation, et ne le pourra pas : il est le mandataire du grand capital financier.
En termes de régime, je vois
- L’enjeu décisif de nouvelles institutions politiques sur l’économie et le social, sur les entreprises, et pas seulement pour les travailleurs à l’intérieur des entreprises, mais pour toute la société, à tous les niveaux. L’entreprise et l’économie est une question majeure de société. Et c’est une question de pouvoirs, d’institutions, de critères sur l’utilisation de l’argent.
- Un nouvel internationalisme, avec ses implications sur l’organisation du monde et sur l’UE. Pas seulement un internationalisme « d’Etat à Etat » ou de « solidarité », mais aussi de batailles communes.
- Europe : bien au-delà de « désobéir » aux traités, ce que nos gouvernants font sans cesse, il s’agit de se battre pour que l’UE « obéisse » à une autre logique. Tout particulièrement : l’argent et la coopération pour les services publics et l’emploi, non, pour la guerre et le capital. Voyons bien que la question d’une sélectivité nouvelle monte de tous les côtés (y compris à l’extrême droite, avec la « préférence nationale » comme une solution aux maux sociaux). Nous ne pouvons plus être absents à ce point de ce débat.
- Alors continuer ? « Elargir » le même chose ?
J’entends la musique qui consiste à dire « il faut en terminer avec la réorientation du PCF et aller dans le sillage de Jean-Luc Mélenchon.
Mais c’est ne pas voir les questions politiques de fond qui sont devant toute la gauche et auxquelles, pour le moment, elle n’arrive pas à répondre. Au cœur de celles-ci, non, pas « augmenter ou pas les salaires ». Là il y a beaucoup d’accord sur le principe, même si les différences ne sont pas anodines. Mais la question qui taraude tout un chacun, c’est « comment fait-on » pour augmenter l’ensemble des salaires ? Où on attrape les choses ? Quels moyens. Et, même de quels pouvoirs dispose-ton ou faut-il disposer pour y arriver ?
Donc pas de dilution. Nous devons amener l’apport original du PCF.
Mais on voit bien aussi que la réponse ne peut être de s’en tenir à des « marqueurs », des « symboles ». Nous sommes face à un monde nouveau qui veut advenir et auquel toute la structure sociale capitaliste résiste le plus possible, quitte à plonger l’ensemble de la société dans des catastrophes. Face à ce monde nouveau, nous répondons « novation communiste », avec un chemin de dépassement en actes des marchés capitalistes, un socialisme du 21ème siècle (sécurité d’emploi ou de formation, nouvelle démocratie d’intervention et nouveaux pouvoirs, appropriation publique et sociale des entreprises et de leur gestion avec de nouveaux critères, services publics d’émancipation et de développement des biens communs, pour des partages jusqu’au niveau mondial en passant par l’indispensable coopération européenne, refonte culturelle et écologique des production et de la consommation, appropriation du crédit et des banques.
Et nous ne sommes pas sans bagages, le 38ème congrès a beaucoup développé en ce sens. Mais nous avons un travail d’appropriation-formation et de simplification-clarification. Particulièrement sur les moyens et les pouvoirs. De ce point de vue, permettez-mois mes camarades, de regretter que l’Huma ait rejeté la proposition que nous lui avions faite d’un numéro centré là-dessus avant le 1er tour, au bénéfice de la proposition de quelques tribunes sur ce même sujet, mais moins maniables qu’un vrai travail journalistique comme savent le faire les journalistes de l’Huma.
Donc ni dilution, ni conservation : novation communiste. En ce sens, il s’agit de reprendre et poursuivre ce qu’ont exprimé les communistes au 38ème congrès et qui tend parfois à être étouffé. Je remarque que ce doit être le seul texte de congrès non publié !
- Nous avons donc devant nous une période de contestation radicale, de luttes et de travail sur les idées.
Etre « radical » ne veut évidemment pas dire vociférer ou faire la même chose que le système mais en plus dure (augmenter les mêmes impôts). Radical, ne veut pas dire « brutal » mais prendre les choses à la racine. Celle de la domination du capital et de la culture du néo-libéralisme, d’une conception des relations entre les personnes.
- Propositions
Je voudrais proposer quelques amendements sur le texte, pour mieux faire apparaître la nouvelle phase de crise, préciser sur les nouvelles institutions économiques et sociales, mettre en valeur la cohérence objectifs/moyens/pouvoirs plutôt qu’une liste de de 10 « propositions », même si évidemment je suis d’accord avec celles-ci.
Je veux aussi proposer les choses suivantes :
- Une initiative sur les questions économiques internationales et européennes dès l’automne, avec les partis communistes et progressistes d’Europe voire au-delà : au moins sur le dollar + bataille contre l’austérité et exigence d’une sélectivité nouvelle de la BCE.
- L’organisation à l’Agora de l’Huma d’une rencontre sur le « crise qui vient », qui inclut les économistes communistes en dialogue avec d’autres économistes et le mouvement social
- Travailler sur une initiative nationale de lutte (manifestation) pour l’automne (octpbre ?) sur le social et les moyens, ouverte à toutes les composantes de la NUPES, aux forces sociales, etc.
- Coupler cette initiative avec une rencontre nationale des animateurs de section le même week-end, d’autant plus que notre calendrier de congrès le permet
- Et je soutiens l’idée d’avoir un CN en septembre. Cela me semble indispensable. Indépendamment des désaccords politiques que je peux avoir avec les camarades qui sont intervenus dans ce sens.
Deuxième Intervention au CN des 2 et 3 juillet 2022
Frédéric Boccara
(intervention dans le débat, à la suite de celle de Pierre Laurent)
Je ne partage pas l’idée que je viens d’entendre à plusieurs reprises qu’à elle seule une « commission de transparence » pourrait permettre un débat franc et sincère, libre, dont les communistes ont besoin.
Je ne partage pas non plus l’idée selon laquelle le fait d’être pour ou contre une candidature communiste a bloqué tout débat. Je pense même que cette « bi-polarisation » très dommageable au parti, mais régulièrement attisée, a limité, corseté, rendu difficile l’appropriation du congrès, dont le texte adopté par les congressistes n’a jamais été publié par le parti. Car le congrès ne se réduit pas à présenter une candidature communiste.
De même, le débat sur le contenu de la candidature et de la campagne a été très refoulé par cette focalisation sur « candidature ou pas », et en partie grâce à celle-ci. Or, on voit bien comment toute la gauche souffre de l’insuffisance d’avancées sur la prise de conscience des moyens et pouvoirs nécessaires aux objectifs sociaux et écologiques. Ou sur la crise. Mais, alors que nous avions annoncé dans le texte adopté en conférence nationale que ces débats, aussi bien à gauche que dans le pays, était un enjeu décisif de notre campagne, nous n’avons pas pris le temps d’en discuter, de nous affûter et nous outiller pour faire avancer ces idées dont l’avancée manque tant. Par exemple, j’ai fait en janvier dernier des propositions d’organiser une confrontation d’idées constructive, à gauche.
Pas de discussion. Sans parler de notre éviction du dispositif de campagne, qui a concerné aussi bien Evelyne que moi.
Malgré cela, nous avons construit le plus possible d’outils et d’appui aux communistes pour cette campagne, des vidéos, interventions, textes, chiffrages, initiatives de formation, etc. Ou le débat pour s’approprier nos avancées sur économie et écologie : à quel point les enjeux écologiques renforcent le besoin de révolution profonde, et non la conservation ou la compensation sociale. C’est aussi le débat sur les avancées institutionnelles que nous pouvons faire progresser. Les propositions de nouvelles institutions politiques sur l’économie, l’écologie et le social ne sont pas débattues, parce qu’on passe le temps dans un affrontement bi-polaire paralysant.
Derrière cela, il y a aussi une conception erronée de l’unité du parti, refoulant les débats de fond, et sous-estimant la capacité des communistes à avancer privilégiant un collage de personnalités au sommet.
Il faudrait aussi parler du non-débat sur un nouvel internationalisme dans notre parti, pourtant il va bien nous falloir avancer dans l’urgence. D’autant qu’il croise les sujets institutions, économie et sens de notre présence au monde. A la veille de la pandémie, nous avons organisé une initiative internationale d’importance, avec plusieurs internationaux, sur laquelle j’attire l’attention des camarades. Et quid, là-dessus, du développement des idées du 38ème congrès ? Je ne pense même pas aux échéances électorales européennes, mais par exemple à la remise à plat des traités qui a déjà commencé ou à la guerre militaire et économique à la fois. On pourrait aussi relever les débats sur l’organisation de notre direction nationale, avec l’absence d’un collectif de secrétariat national, que j’ai soulevée juste au début de la pandémie et du confinement. Ou encore l’absence de débat aux débuts du confinement sur le besoin, ou non, d’un positionnement contestataire beaucoup plus précoce des mesures prises lors du premier confinement, en particulier l’absence de moyens pour l’hôpital et de conditions mises aux aides aux entreprises dès le premier plan E. Philippe.
Débattre, c’est donc un état d’esprit et pas la recherche d’une tension et d’une bi-polarisation dont les communistes, je le crois, ne veulent pas. C’est de la recherche des voies d’un approfondissement pour un communisme de notre temps, d’un chemin, d’une stratégie et d’une organisation, répondant aux immenses défis et risques du nouvel épisode de crise qui vient, que nous avons besoin, en se nourrissant de notre richesse, de notre diversité et de ce que nous avons en commun.
Or là, précisément, il s’agirait d’appeler à une manifestation pour octobre, pour l’emploi, les services publics, les retraites et une nouvelle démocratie. Nous avons été plusieurs à la proposer. Mais ce n’est pas discuté, alors que ce serait notre responsabilité de CN. Vous allez voir que Mélenchon va le proposer et que nous allons courir après…
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