L’invasion dramatique de l’Ukraine par la Russie change le contexte de notre campagne et la met en difficulté sous trois angles.
L’angoisse que crée une guerre en Europe, suite à une violation du droit international par une puissance nucléaire et l’intuition que les conséquences peuvent être cataclysmiques pour tous les peuples refoule au rang de préoccupations secondaires le débat sur la transformation sociale, alors même que l’organisation capitaliste du monde du monde, les concurrences acharnées sur le contrôle des ressources, sur la maîtrise de des flux financiers, la captation des profits, les rentes liées à la guerre, le creusement des inégalités font partie des sources de tension internationale. La célèbre phrase de Jaurés est toujours d’actualité : « le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l’orage ».
Le fait que l’agresseur soit la Russie. Dans l’imaginaire populaire, travaillé avec habileté par certains adversaires, et par des « experts » sur plateau, le régime politique en Russie serait l’héritier direct du pouvoir communiste qui a dirigé l’URSS pendant plus de 70 ans, et nous serions ainsi proches de Poutine.
Enfin, il y a la forte poussée des idées qui vont dans le sens contraire de nos propositions, hélas y compris à gauche et accentuent sa fracturation. Ce sont ; l’affaiblissent du camp du pacifisme derrière l’illusion d’une mise au pas de Poutine par l’intensification de la guerre ; la fuite en avant vers une Europe fédéraliste et ultra-militarisée refoulant l’exigence d’une Europe des peuples et de la coopération ; c’est l’image trompeuse d’une OTAN seulement défensive et protectrice qui aurait vocation à s’étendre ; c’est l’exonération des USA de l’après Trump de toute visée impérialiste.
D’où la nécessité d’une réflexion collective du parti et d’une expression publique ajustée dans ce moment délicat et crucial des dernières semaines de campagne.
1) Il y a besoin d’éclairer les consciences sur les antécédents et les facettes multiples de la situation actuelle , qui n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel bleu, mais a été précédée d’une montée continue des tensions dans cette partie de l’Europe, avec des effets de cliquet.
Rappeler la contribution des États Unis et de l’Otan dans les prémisses n’est en rien dédouaner Poutine de sa responsabilité entière dans le déclenchement de cette guerre et du désastre humain qu’elle provoque. Mais elle est un élément de contexte à prendre en compte, en particulier pour construire les conditions d’une paix durable.
Que les choses soient claires : notre condamnation de l’invasion militaire russe en Ukraine est sans appel. On ne règle aucun problème politique de cette façon. C’est une violation intolérable du droit international, et il est évident maintenant que cette guerre a été préparée depuis plusieurs années, avec des objectifs qui ne relèvent pas de la seule sécurité russe, comme le montrent les discours et l’idéologie du régime de Poutine.
Il convient donc de continuer à informer sur la nature du régime russe :
-un ultranationalisme pan-russe, dont l’inspiration politique et religieuse remonte à la Russie tsariste et enjambe la Russie soviétique, à qui il est reproché d’avoir érigé l’Ukraine en République,
– une proximité avec les extrêmes droite européennes, confirmée par une pensée qui se nourrit d’auteurs fascisants,
-un pouvoir politique autocratique, en cours de durcissement inquiétant à l’encontre des pacifistes,
-une politique économique et sociale qui fait souffrir depuis des années le peuple russe pour servir les intérêts capitalistes russes.
2) Des tensions anciennes autour d’enjeux géostratégiques mondiaux
La gravité de la situation présente et l’urgence d’imposer une désescalade guerrière ne sont pas une raison pour oublier le temps long sur lequel s’est formé le terreau propice à l’aventure guerrière et criminelle décidée par Poutine.
C’est d’abord l‘extension de l’OTAN vers l’est, pouvant aller jusqu’aux frontières russes avec l’entrée de l’Ukraine dans l’UE, et l’OTAN, devenue plausible avec le basculement pro-occidental du pouvoir ukrainien en 2014, alors même que le caractère ultra-sensible de cette adhésion était connue, au point que la France et l’Allemagne n’y étaient pas favorables.
Derrière cette perspective d’adhésion, soutenue par la diplomatie américaine, et refusée par la Russie, se concentrent bien entendu des intérêts géostratégiques majeurs sur la mer noire; commerce maritime, acheminement des hydrocarbures et du gaz, base miliaire maritime russe à Sébastopol. Les multinationales américaines sont intéressées par cette zone de passage de la mer noire, voie maritime de la nouvelle route de la soie, et depuis que les USA sont devenus exportateurs d’hydrocarbures, leur intérêt est de limiter les exportations russes de gaz en Europe et de rendre l’Europe dépendantes des leurs. Pour la Russie, dont l’oligarchie tire l’essentiel de ses richesses des exportations de matières premières et énergétiques, la question économique est loin d’être mineure.
Enfin, dans une situation de crise systémique du capitalisme mondialisé, et de rivalité économique aiguë entre les USA et la Chine, le maintien par les premiers de leur domination multiforme est un guide politique puissant: l’effondrement économique de la Russie, en affaiblissant le pôle russo-asiatique en cours de constitution, freinerait du même coup la montée en puissance d’un ensemble régional susceptible de contester l’hégémonie américaine financière, monétaire, diplomatique, militaire, et culturelle et de retarder l’avènement du monde multipolaire.
Il s’agit donc d’une guerre entre deux pays capitalistes d’importance secondaire, auxquels s’intéressent des puissances de premier plan, dont l’impérialisme américain.
3) Stopper l’engrenage guerrier
Il faut argumenter pour convaincre du fait qu’aider le peuple ukrainien, ce n’est ni livrer des armes à son gouvernement, ni répondre aux demandes de Zelenski d’une zone d’exclusion aérienne, ni une entrée rapide dans l’UE et par conséquent une transformation de la guerre en guerre ouverte Russie/OTA N.
Ce n’est pas aider le peuple ukrainien que de mettre le doigt dans un engrenage guerrier qui ne peut que multiplier les morts, les destructions. La livraison d’armes ne concerne pas seulement l’armée régulière, mais parvient aussi à des groupes et milices, d’extrême droite ou m^me néo-nazis pour certains, avec les risques possibles d’un scénario qui rappelle celui de la Lybie. L’enlisement dans une guerre longue ne fera qu’accroître les souffrances en Ukraine et conforter Poutine dans une surenchère guerrière qui pourrait conduire à l’escalade du pire: la menace nucléaire n’est pas à prendre à la légère.
L‘instauration d’une zone d’exclusion aérienne, sous une expression apparente de mesure défensive, est en réalité une entrée pure et simple en guerre , car elle implique des tirs sur les avions qui rentrent et un bombardement des défenses anti-aériennes qui menacent les avions autorisés. On rentrerait dans un affrontement direct entre l’OTAN et la Russie, c’est à dire dans une nouvelle guerre mondiale.
L’entrée rapide de l’Ukraine dans l’UE, avec les accords d’alliance militaire inscrits dans le traité de Lisbonne (article 42-7) enclencherait ipso facto un affrontement militaire UE-Russie, porteur d’énormes dangers pour l’avenir des pays européens.
Mais alors, comment arrêter efficacement le bras de Poutine, comment développer un pacifisme qui ne soit pas béat, angélique, ou «munichois», selon le reproche de certains!
D’abord en agissant : oui, la puissance de la solidarité aux Ukrainiens et des mobilisations contre la guerre, peut modifier le contexte politique, donner de l’ampleur aux résistances des courageux pacifistes russes, renforcer la prudence de la Chine sur l’aide demandée par la Russie, faire douter le cercle dirigeant de Russie.
L’isolement diplomatique et l’usage de sanctions économiques ciblées sur les avoirs des oligarques et les dirigeants politiques, notamment accumulés à Chypre et à Malte, sont de nature à fracturer l’alliance au capital qui a caractérisé jusqu’ici le régime de Poutine. Des sanctions ciblées, mais pas d’embargo visant « l’effondrement de l’économie russe », mettant à genou le peuple russe et à rude épreuve les peuples européens. De ce point de vue, le blocage des ventes de devises en provenance de la banque centrale russe, qui fait chuter le cours du rouble, laisse prévoir une accélération de l’inflation très pénalisante pour le peuple russe. Les risques multiples liés à cette décision ont-ils été parfaitement mesurés par les dirigeants occidentaux ?
La seule issue est politique, elle est urgente pour arrêter le désastre, elle ne réside ni dans la prolongation du conflit ni dans son internationalisation via une armée de mercenaires.
Le cessez-le-feu et le retrait des troupes russes doivent s’accompagner d’une ouverture sur-le-champ des négociations sous égide des Nations unies. La construction d’une paix durable passe par les points d’accord validés dans un cadre multilatéral par l’ONU, l’OSCE, le Russie et l’Ukraine qui pourraient être les suivants :
– le respect de la souveraineté et de l’intégrité de l’Ukraine avec un statut d’autonomie des républiques du Donbass,
-l’octroi à l’Ukraine d’un statut de sécurité collective et d’indépendance garanti sur le terrain par une force d’interposition de l’ONU, excluant la présence des légions étrangères actuellement au service de l’armée ukrainienne.
–l’engagement des pays de l’Otan à cesser leur extension aux frontières russes : ce qui implique la non adhésion de l’Ukraine à l’Otan et à l’Union Européenne.
– l’arrêt des livraisons d’armes, conformément à l’article du traité sur le commerce des armes ratifié le 24 décembre 2014, interdisant la vente d’armes aux pays en guerre.
4) Le double jeu de Macron
Le discours se veut protecteur, la posture se veut médiatrice, avec des coups de fil à tous les protagonistes, dont Poutine, mais d’une part les actes politiques efficaces en faveur de la paix n’existent pas, d’autre part il met le pied sur un accélérateur qui nous emmène dans le mur.
L’inefficacité pour la paix, c’est l’absence d’une proposition audible sur le processus politique d’ouverture des négociations suite au cessez le feu et au retrait des troupes russes , par exemple une position claire de la France sur son refus d’adhésion de l’Ukraine à l’UE et à l’Otan, associée à une mise en avant de sa protection par l’ONU.
Le pied sur l’accélérateur, c’est la marche forcée vers une Europe fédéraliste, dotée d’une défense européennes intégrée, présentée comme indépendante, mais en réalité sous parapluie de l’Otan conformément aux traités européens, c’est-à-dire la perspective d’une Europe trouvant son unité diplomatique dans une vassalisation atlantiste. Le basculement politique de l’Allemagne dans la militarisation, avec un budget prévisionnel militaire de 100 milliards et les premiers achats d’avions américains ne laissent aucun doute sur le sujet, y compris celui de ne pas soutenir l’industrie française de l’armement…
Le fonds de résilience européen proposé par Macron, qui sera financé une fois de plus par les marchés financiers, accroît leur tutelle, et s’inscrit comme les plans précédents, dans le soutien au capital, avec en prime, l’option de la militarisation : c’est une intégration par la finance et le surarment, à l’opposé des mutualisations que nous proposons : celles des services publics et la transformation écologique grâce à un fonds de développement des services publics financé parla BCE.
5) Garder le cap du projet de transformation du monde
La guerre écrase les contenus de la campagne présidentielle, d’autant plus que le candidat- Président se refuse à débattre avec les autres candidats et à répondre de son bilan, pour mieux mettre en scène sa fonction, et faire passer sa continuité au delà de l’élection. comme une évidence nécessaire et «protectrice».
La guerre renforce au contraire la pertinence de notre vision du monde, et l’urgence des solutions que porte notre programme qui, lui, protège réellement parce qu’il s’attaque aux rapports capitalistes.
La protection durable du pouvoir d’achat passe par l‘arrêt des spéculations sur les marchés de l’énergie et de première nécessité, la maîtrise des productions et des prix grâce à la nationalisation des entreprises stratégiques et à l‘orientation du crédit bancaire vers d’autres choix que ceux qui sont guidés par la rentabilité maximale. Les nouveaux pouvoirs aux salariés seront un levier essentiel pour le développement de l’emploi, des salaires, et une nouvelle industrialisation nécessaire à la transformation écologique. Une réforme fiscale de grande ampleur s’impose, qui ne soit pas quelques miettes du coup par coup pour calmer les colères, mais le choix décisif de diminuer les taxes sur la consommation grâce à une imposition plus forte du capital.
Sur le monde et l’Europe, là encore, notre projet répond aux contradictions et confrontations que génèrent l’organisation capitaliste du monde et sa structuration autour de la domination du capital nord-américain et son hégémonie politique, culturelle, militaire financière et monétaire, avec les gouvernements européens et l’UE comme supplétifs. Cette domination est entrée en crise, les principes pour une autre organisation du monde peuvent être énoncés assez clairement, et les forces existent pour les faire prévaloir, avec l’influence montante des pays émergents, et surtout les aspirations des peuples, que nous pouvons aider à faire s’exprimer. Ces principes, faisant appel à la souveraineté des peuples sans souverainisme, à la coopération et à la construction de biens communs, avec de nouvelles institutions internationales, sont d’autant plus urgents à mettre en œuvre que les problèmes à résoudre au XXIe siècle mettent directement en jeu la responsabilité de l’humanité tout entière vis-à-vis d’elle-même et (donc) de son milieu naturel : pauvreté, guerres, réchauffement climatique, migrations, biodiversité, épuisement de certaines ressources….
L‘ampleur des problèmes auxquels l’humanité est confrontée ne peut en aucun cas être résolue par l’usage de la force armée, et imposer la volonté de quelques-uns à huit milliards d’êtres humains. Cela condamne totalement l’agression de Poutine, au-delà même du droit international et de la morale, invoqués à juste titre.
Nos propositions pour construire un monde de paix et de coopération sont une base solide pour une position qui n’est ni une quelconque complaisance envers Poutine, ni un ralliement à l’union sacrée derrière Macron ou derrière l’OTAN, ni un pacifisme angélique. Rien ne serait pire que de glisser, au nom de la solidarité, dans un consensus mou sur l’Ukraine et de mettre en veilleuse la singularité du projet communiste et de sa visée internationaliste.
Ping : La guerre en Ukraine, un éclairage bien utile. Des propositions pour construire un monde de paix et de coopération sur une position qui s’inscrit dans la singularité du projet communiste et de sa visée internationaliste. – Le blog politiqu
Ping : Ukraine : Aurait-on pu éviter ce désastre ? Quelques points de vue sortant de l’idéologie dominante. – Le blog politique de Gaston