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L’éducation au temps du coronavirus,  une recherche collective. Quatre questions à Stéphane Bonnéry

Quelle situation dans le domaine de la musique, du théâtre, de l’édition, de la télévision, du cinéma ou des musées pour tenter de mieux cerner les enjeux de la médiation et de la transmission culturelle, au-delà des objectifs annoncés et des discours habituellement tenus.

Le collectif Médiations interroge le rapport des enfants à la culture au travers d’enquêtes auprès d’acteurs culturels, de créateurs et d’enfants. Ils et elles sont interrogés dans le domaine de la musique, du théâtre, de l’édition, de la télévision, du cinéma ou des musées pour tenter de mieux cerner les enjeux de la médiation et de la transmission culturelle, au-delà des objectifs annoncés et des discours habituellement tenus.

Propos recueillis par Paul Devin pour l’institut de recherche de la FSU

C’est la deuxième fois consécutive que vous participez, après le travail engagé sur « l’éducation au temps du coronavirus » à une recherche et une publication collective. Dans un contexte où la recherche est soumise à des pressions concurrentielles, c’est évidemment un choix. Mais quels en sont les enjeux pour la recherche et sa diffusion ?

La recherche, en France tout particulièrement, souffre du morcèlement des résultats et des objectifs à court terme, imposés par la tendance dominante des politiques de financement qui privilégient la concurrence à la coopération. Nombre de chercheurs tentent de prendre le contrepied, avec des modalités variables. Dans L’éducation aux temps du coronavirus, paru chez La Dispute, nous avons dirigé avec Étienne Douat un projet éditorial qui a consisté à faire dialoguer et rendre complémentaires des recherches conduites séparément pendant le premier confinement. Ici, la coopération a procédé d’une autre manière. Le Département des Études, de la Prospective et des Statistiques (DEPS) du ministère de la Culture a financé plusieurs années une recherche collective dirigée par Florence Eloy et sept autres chercheurs pour comprendre les médiations artistiques. Nous avons d’abord posé les mêmes questions et confronté nos résultats sur des terrains complémentaires, des plus légitimes au plus médiatiques, des institutions publiques au secteur marchand : les orchestres d’enfants, le théâtre jeune public, les albums jeunesse, le dispositif Cinémas indépendants médiations, un ensemble romanesque pour adolescents, une série TV, les musées, un musée virtuel pour enfants. L’originalité de ce projet tient aussi au fait d’écrire tous les chapitres à huit auteurs (Stéphane Bonnéry, Samuel Coavoux, Rémi Deslyper, Florence Eloy, Frédérique Giraud, Tomas Legon, Muriel Mille & Véronique Soulé) : ce livre n’est pas une juxtaposition de terrains. Chaque chapitre montre sur une question (par exemple, la cohabitation de logiques éducative, artistique, ludique) les similitudes et les différences entre ces domaines de la médiation.

La relation de l’enfant à l’art nécessite à la fois une reconnaissance de ses goûts et l’accompagnement de ses découvertes, dans la recherche d’un équilibre qui est loin d’être spécifique à ce champ éducatif. Ne sommes-nous pas trop souvent témoins de médiations qui peinent à trouver cet équilibre soit parce qu’elles sacralisent le jugement enfantin, soit parce qu’elles le négligent au profit d’une volonté normalisatrice ?

Notre recherche montre que ce sont effectivement deux possibilités. D’une part, des intermédiaires culturels qui restent en retrait en faisant appel à la « spontanéité » supposée des enfants, donc en fait aux dispositions que la socialisation familiale a formées ou pas. D’autre part, une priorisation de la posture éducative, qui relègue au second plan le développement d’un rapport à l’appréciation esthétique. Mais il y a aussi des acteurs culturels qui tentent de sortir de ce dilemme.

Mais ces intermédiaires ne sont pas les seuls acteurs des médiations artistiques. Le livre propose une autre manière de penser ces dernières, en tant que chaînes de cadrage et d’appropriations croisées : les créateurs eux-mêmes suggèrent dans leurs œuvres des manières de les apprécier et ils anticipent des réceptions possibles (ce qui fera réfléchir, rire, ou émouvra, par tel procédé), là encore en oscillant entre adressage à des âges précis et priorisation de la démarche artistique qui renvoie aux enfants et aux accompagnateurs la responsabilité de s’approprier les significations possibles. D’autres acteurs de la production (éditeurs par ex. dans le paratexte) diffusent également des clés d’appropriation des œuvres, dont s’emparent inégalement à leur tour les intermédiaires (bibliothécaires, animateurs de dispositifs d’action culturelle, etc.) qui cadrent en partie les appropriations possibles des jeunes publics. Et le public, à son tour, donne en partie à voir son appropriation des œuvres aux créateurs qui peuvent en tenir compte pour leurs créations ultérieures (visites de classes par des auteurs d’albums par exemple).

La segmentation moindre des publics, notamment la recherche de productions culturelles s’adressant en même temps aux enfants et aux adultes, ne se modélise-t-elle pas sur les attentes des classes sociales les plus favorisées ? La littérature enfantine, par exemple, ne finit-elle pas par tant se complexifier qu’elle exclut une partie de ses lecteurs et parfois de manière socialement très marquée ?
La littérature pour enfants connaît en fait une relative segmentation : votre constat est juste pour les auteurs et créateurs du pôle légitime (qui obtiennent des prix littéraires, font l’objet de critiques par les revues spécialisées à destination des médiathécaires et des enseignants, et sont privilégiés par ces professionnels), leur double adressage à l’enfant et à l’adulte contribue à la complexification des manières de lire attendues. Mais il existe une création et une diffusion grand public, avec des schémas narratifs et actanciels standards, qui sont très peu utilisés par les professionnels du domaine alors que l’on pourrait imaginer justement que l’on fasse réfléchir tous les enfants sur l’identification de ces schémas, ce qui pourrait leur fournir des outils pour en constater le caractère répétitif et éventuellement s’intéresser alors à d’autres œuvres, moins proches des produits formatés.
Et la comparaison des domaines artistiques conduit à une réponse encore plus contrastée : la série TV étudiée, visant un grand public en « access prime time », s’adresse à des âges différents, sans s’aligner aucunement sur les dispositions cultivées.

La médiation culturelle se définit parfois a contrario de la forme scolaire pour défendre des approches plus sensibles, plus émotionnelles, plus festives… mais cet « impératif du fun » ne risque-t-il pas de dissoudre les enjeux essentiels de l’expérience culturelle dans les diktat de la motivation superficielle ?
Nous montrons exactement ces ambiguïtés. À leur décharge, il ne faut pas oublier que les professionnels de la médiation ont le plus souvent affaire à des publics qui ne sont pas « captifs » comme à l’école, durant le temps des loisirs, et que des formes de satisfaction à assez court terme doivent nécessairement découler de la pratique. Au demeurant, ces praticiens ont aussi une mission éducative, assumée par les uns, déniée par d’autres, et l’analyse de leurs pratiques, décrites en détails dans le livre, montre des différences mais aussi certaines proximités avec l’usage de ces œuvres à l’école, même lorsque ces médiateurs disent vouloir rompre avec la forme scolaire.
De même, notre recherche étudie les modalités de médiations qui reposent souvent sur la volonté de faire « participer » les enfants dans les activités, ce qui ne se fait pas toujours avec des publics adultes, afin de les former à l’art et par l’art. Les effets ne sont pas toujours ceux imaginés par les promoteurs de ces conceptions.
Le livre montre la richesse de ces actions culturelles, en pointant leurs apports en même temps que les défis auxquels elles se heurtent, et sur lesquelles il fournit des pistes de réflexion, aussi bien pour les médiateurs, que pour les enseignants qui établissent des partenariats avec des acteurs culturels.

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