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CHILI : après l’élection, la nécessaire intervention populaire !

Sans intervention massive, déterminée et consciente du peuple et du monde du travail il n’y aura pas de voie toute tracée vers une issue progressiste. Cette histoire n’est pas encore écrite, mais elle s’ouvre avec un potentiel incontestablement nouveau.

Par Frédéric Boccara et Pascal Joly

Pascal Joly
Fréderic Boccara

Gabriel GORIC a été élu président de la République du chili avec près de 56 pour cent des voix. Une victoire électorale patiemment construite. Pleine de promesses. Avec comme assise, les deux principaux piliers que sont le Frenté Amplio et le parti communiste du chili (qui pèse pour plus d’un tiers dans le rapport de force interne à la gauche), mais aussi un peuple mobilisé et conscientisé qui intervient avec force, et qui entend bien en finir avec l’héritage de Pinochet, passer à une autre étape de son histoire.

Cette victoire est historique. Elle porte une immense espérance non seulement au Chili mais dans le monde entier ! Quelle satisfaction, presque 50 ans après le coup d’Etat de 1973, de voir de nouveau une coalition de gauche accéder à la présidence de la République chilienne. C’est un espoir aussi en Amérique Latine, mais dans un monde plus difficile au niveau mondial. Un monde dominé jusqu’ici par la mondialisation néo-libérale, mais qui se cherche à présent avec la dite crise du Covid, dont on pressent que les difficultés profondes économiques ne sont pas uniquement dues à la Covid mais peut-être aussi au besoin d’un autre monde, d’une autre logique économique que celle de la domination du capital. Il s’agit d’appuyer sans réserve nos camarades chiliens dans cette bataille. Les appuyer, c’est aussi nous appuyer face à cet ennemi commun, le capital, sa logique, sa domination. Et s’appuyer sur un mouvement social s’apparentant à une révolution, un référendum constitutionnel, une nouvelle constitution, un mouvement féministe de masse. Mais comme le précise notre camarade Alec Desbordes «  Il ne faut pas réduire cette construction de longue haleine, appuyée sur des luttes prolétaires et étudiantes, à une simple union de circonstances telle qu’elle pourrait advenir dans d’autres pays. Pour reconstruire « la gauche », il faut commencer par reconstruire ses composantes, ce que les camarades chiliens, communistes ou non, ont fait avec brio. »

La question au Chili est maintenant : que va faire le nouveau président de la République fraichement élu ? Sur qui va-t-il s’appuyer ? Va-t-il donner de réels pouvoirs au peuple pour maitriser son destin ? Quelles réformes structurelles va-t-il engager, dans l’économie et dans l’Etat ? En clair, assumer l’existence de la lutte de classe qui est menée par le camp du capital, et y entrer lui aussi, à l’échelle nationale et internationale. Avec la question de s’appuyer, entre autres, sur ses voisins d’Amérique latine et leur force progressistes. Telles sont les questions auxquelles la réponse sera un indicateur du chemin qui sera pris. Elles devront probablement arriver assez tôt. Car les pressions de toute part ne vont pas se faire attendre. Dans ce pays, où en 1973, a eu lieu un coup d’Etat sanglant, soutenu par les Etats-Unis, et qui a vu s’installer aux commandes les Chicago boys, élèves zélés de Milton Friedman, père de la théorie du monétarisme dur et de l’ultralibéralisme. Le Chili leur avait servi de laboratoire, avant que leur théorie économique ne s’étende à une bonne partie de la planète capitaliste. Avec les ravages qu’on lui connaît.

C’est pour avoir accompagné cet ultralibéralisme que la 1ère transition entre la dictature et la démocratie menée par Michelle Bachelet fut un échec qui se retourna contre le peuple chilien. Son projet économique ne sortait pas du cadre néolibéral défendu par la Concertación depuis la fin de la dictature. Elle était engagée dans « une relation active de coordination économique au sein de l’Alliance du Pacifique », qui rassemble, sous l’autorité des États-Unis, les gouvernements latino-américains engagés en faveur de cet ultralibéralisme. Elle a été perçue positivement par le capital chilien, certains de ses membres éminents lui apportant même leur soutien. Le président de l’association des banques chiliennes, Jorge Awad, souligna même que la réforme fiscale envisagée par Michelle Bachelet ne menaçait pas les propriétaires et la finance chiliens.

Aujourd’hui, l’impérialisme US-américain est en recherche d’une domination renouvelée. Ses multinationales, le dollar et le FMI sont plus puissants que jamais et l’OMC a conquis toute la planète dans le même temps que ce même impérialisme US a besoin de se renouveler, secoué de l’intérieur par une crise très profonde. Les manifestations internes ont amené Biden au pouvoir la base d’une recherche progressiste, après le mandat autoritaire de Trump et sa consolidation idéologique dans la société US. Or, ce « progressisme » de Biden apparaît extrêmement agressif au plan mondial, y compris au plan économique. Il est enfermé dans des schémas keynésiens : ne pas changer ni le monopole sur l’utilisation de l’argent, ni la logique de cette utilisation – l’argent en priorité au profit du capital matériel et financier plutôt que pour les femmes, les hommes, c’est à dire l’emploi, la formation, la protection sociale, les services publics et la nature à travers une tout autre production. La promesse progressiste de Biden pourrait elle-même soit « échouer », soit lui tourner le dos plus tôt que prévu.

Le monde entier est confronté à cette immense question d’une autre utilisation de l’argent que celle dominée par le capital. Cette lutte de classe d’aujourd’hui se joue aussi bien en pratique que dans les idées, elles qui justement imprègnent et guident la pratique. Il n’y a plus d’espace pour la conciliation avec les intérêts du capital, dans le même temps que l’union la plus large des progressistes est indispensable. La novation communiste est plus nécessaire que jamais pour un renouvellement profond des schémas de la gauche.

Au Chili, le nouveau chef de l’Etat prendra ses fonctions le 11 mars. C’est dans plus de 2 mois. D’ici-là, beaucoup d’eau va couler sous les ponts, et la droite et l’extrême droite du pays ne vont pas rester « l’arme aux pieds » Quitte à utiliser les institutions, et toutes les armes dont elles disposent, et à les retourner contre ce peuple actif et courageux. Car l’histoire nous a appris une chose. Quels que soit ceux auxquels ils confient le pouvoir, les dominants, la bourgeoisie, à fortiori financière, ne renonce jamais quand ses intérêts de classe sont en jeu et qu’ils risquent de perdre leurs privilèges. Nous en avons tiré une certitude : sans intervention massive, déterminée et consciente du peuple et du monde du travail il n’y aura pas de voie toute tracée vers une issue progressiste. Cette histoire n’est pas encore écrite, mais elle s’ouvre avec un potentiel incontestablement nouveau. Le premier défi sera la poursuite et l’aboutissement de la nouvelle constitution chilienne, traduction politique du mouvement social de masse de 2019 refusant l’augmentation autoritaire du ticket de métro. Beaucoup de regards vont se tourner vers ce Chili, si longtemps meurtri, mais qui relève la tête de la plus belle manière qui soit ! Adelante ! Mais « adelante » nous aussi pour entrer dans cette bataille d’idées et de solidarité de luttes pour une tout autre logique dans une autre conception du monde et de la solidarité internationale.

Frédéric Boccara et Pascal Joly

3 comments on “CHILI : après l’élection, la nécessaire intervention populaire !

  1. Jacquy Amédée Marie RIVOALAN

    BORIC . Gabriel BORIC …selon le rumeur

    Merci pour cet excellent article .

  2. Michel Berdagué

    OUI ! Bonnes analyses .

    • Besse Daniel

      Tout dépendra de l’intervention des citoyens . Gagner une élection ne suffit pas . En face , ils ne vont pas rester les deux pieds dans le même sabot .

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