La manifestation de policiers du 19 mai, mais il faut bien le dire aussi, la prise de position du secrétaire national du PCF, ont largement participé à alimenter le débat sur les enjeux de sécurité et de sureté des populations.
Tout d’abord sécurité ou sureté et ce n’est pas qu’une question de sémantique, ne signifient pas exactement la même chose. La sûreté représente un ensemble de mesures permettant de se protéger contre les malveillances et qui dit malveillances dit intention de nuire, alors que la sécurité qui, certes dans le discours classique englobe la notion de sûreté, concerne plus particulièrement les risques dont la cause est accidentelle.
Dans les faits le mot sécurité est plus souvent employé car à la différence de celui de sûreté, il est beaucoup plus précisé en termes réglementaires. Cela tient au fait que la sûreté concerne un domaine plus diffus, plus fluctuant et plus évolutif reposant sur la complexité des comportements humains mais aussi sur l’affirmation et le respect des libertés publiques fondamentales.
Au cas d’espèce nous avons aujourd’hui plus à faire à une problématique de sûreté qu’à des questions de sécurité. Dès lors il s’agit de nous demander pourquoi de plus en plus de personnes ont l’impression de ne pas vivre en sûreté ; une question éminemment politique et qui peut porter loin. Depuis plusieurs décennies, une crise majeure du système capitaliste dégrade considérablement les conditions de vie et fait monter les pires réflexes. Précarité, chômage, exclusion, ostracisme, stigmatisation de toute sorte, racisme, recul des libertés individuelles et collectives sont l’envers du décor d’une société qui se délite sous la pression des forces du capital. Manques cruels d’accès à l’enseignement et à la formation, à la culture, aux soins, un espoir bouché sur l’avenir pour des millions d’hommes et de femmes jeunes et moins jeunes, ont installé un climat de défiance vis-à-vis de l’autre, de repli sur soi, de peur générant une forte impression de manque de sûreté et/ou d’insécurité.
Malheureusement au lieu d’une réponse sociale, humaine à cette évolution et relevant à bras la corps le défi d’une nouvelle émancipation sociale, les pouvoirs politiques à la solde des intérêts capitalistes se livrent et cela, particulièrement depuis N. Sarkozy, à un jeu trouble sur lequel se nourrissent les idées nauséabondes du clan Le Pen. Demandons-nous par exemple pourquoi la dimension sécuritaire inonde le débat politique alors que c’est justement à ce moment même que des emplois de policiers sont supprimés par milliers, que les services publics disparaissent comme fond la neige au soleil ? Demandons-nous également pourquoi depuis quelques temps et y compris sous F. Hollande, quasiment pas une manifestation syndicale sur des questions d’ordre purement social, n’a échappé à des échauffourées violentes avec la répression policière pour réponse, le mouvement des gilets jaunes ayant constitué une sorte d’apogée momentanée de cette dérive.
Sécurité et sûreté sont des domaines que le pouvoir politique a toujours eu tendance à fortement utiliser pour manipuler le peuple et en instrumentaliser certaines couches, surtout en période où le système doit imposer d’importants reculs sociaux et des libertés fondamentales pour se sauver. Tout est lié ! La gestion capitaliste de la société crée de l’insécurité sociale qui débouche sur des comportements individuels ou collectifs délictueux et c’est ces comportements qui sont ensuite utilisés pour imposer à l’ensemble du peuple des mesures de plus en plus autoritaires et coercitives.
Le problème le plus important n’est-il donc pas finalement celui de l’insécurité sociale, du manque de perspectives d’avenir pour soi-même, ses enfants, ses proches ? Pour beaucoup l’inquiétude quotidienne est de savoir ce qu’il y aura à manger demain, quelles études pourront suivre les jeunes et sur quel emploi elles vont déboucher ! Au fond sont ainsi posés la prise en compte et la reconnaissance de l’être humain, son insertion et son rôle dans la société ? C’est pour l’essentiel la non réponse à ces questions existentielles qui déstabilise les populations, et les relations humaines particulièrement dans les quartiers populaires, dits sensibles, constituant ainsi le terreau de toutes les dérives, de toutes les explosions, de toutes les manœuvres.
Cela est vieux comme le monde ! C’est dans les quartiers, dans les pays défavorisés que des gens plus ou moins bien intentionnés viennent faire leur marché, suivis de près par des politiques bien-pensants portant au pinacle comme modèle de réussite sociale celui du gagneur, c’est-à-dire de l’argent pour l’argent. C’est donc là qu’on recrute des nervis, des hommes de mains, des porteurs d’eau. C’est ainsi que fructifient tous les trafics y compris le radicalisme religieux qui se pare en plus de vertus morales. C’est ainsi que des adolescents et de jeunes adultes passent à l’acte jusqu’à devenir incontrôlables. Ma fonction d’élu m’a permis d’avoir accès à des enquêtes sociales et sociologiques sur des quartiers difficiles de ma ville. On pouvait clairement y déceler l’évolution de certains adolescents, voire pré-adolescents. Mais depuis, sur le fond qu’y a-t-il eu vraiment de fait pour enrayer les risques qui pointaient et apporter les réponses politiques, économiques, sociales nécessaires ? Rien sinon que la situation générale s’est encore dégradée !
Vouloir résoudre les questions de manque de sûreté et de sentiment d’insécurité globale qui rendent la situation invivable pour nombre de nos concitoyens, sentiment et vécu dont il faut par ailleurs avoir conscience, suppose la mobilisation de moyens considérables mais indispensables. S’il faut bien évidemment punir et sanctionner, il faut aussi une réponse juste et éducative, au risque d’une surenchère permanente et d’une course sans fin à la sanction. Une approche nouvelle en amont, avec de la prévention est également indispensable. Cela exige des équipes éducatives formées et en nombre suffisant ainsi que de nouveaux moyens pour la police en effectifs, en formation et un contenu de missions articulé autour du triptyque : proximité, prévention et répression.
Mais cela demande également de nouveaux moyens pour la justice. Impossible en effet de définir un nouveau cadre pour l’intervention policière sans traiter en même temps de la situation très dégradée des services de la justice. La plus importante question posée par la manifestation de policiers du 19 mai n’est-elle pas en creux et en clair aussi, vu certains mots d’ordre portés, le transfert de missions de justice à la police ? C’est une demande récurrente de certains syndicats de police dénonçant le laxisme de la justice. En arrière-plan, sur fond d’une restructuration régressive des missions de justice et de suppressions d’emplois, est une transformation en profondeur des institutions policières et judiciaires de notre pays visant à mettre au pas la justice et à faire prévaloir les actions policières de répression avec un minimum de garde-fous pour les populations. « Police partout, justice nulle part » disait déjà Victor Hugo. Cette transformation participe d’une conception globale du remodelage de l’appareil d’État pour le mettre au service du Marché. Des transformations du même ordre sont déjà à l’œuvre dans d’autres secteurs publics comme par exemple le Ministère des Finances et cela a commencé il y a plus de 20 ans, avec par exemple en matière fiscale la fin de la séparation entre l’ordonnateur et le comptable, la fusion des missions de recouvrement et d’assiette de l’impôt, la casse des services de gestion des entreprises et des contribuables fortunés. L’organisation territoriale est un autre théâtre d’opérations similaires. RéAte et Loi Notre en sont la traduction et E Macron prépare de nouvelles mesures aggravant encore ce délitement. Il s’agit d’une volonté profonde d’adaptation globale des institutions de notre pays et de ses missions régaliennes aux exigences de rentabilité du capital. Une véritable révolution conservatrice dont le but est de créer un nouveau cadre permettant d’imposer un État de plus en plus « sécuritaire » mais une sécurité sélective au seul bénéfice des forces du capital afin qu’elles puissent continuer à imposer sans entraves leur domination et leur exploitation dans des conditions d’existence de plus en plus dures pour les gens. Et ce véritable changement de paradigme ne touche pas que la France !
De nouveaux moyens pour la justice, ses missions clairement définies par rapport à celles de la police, c’est aussi permettre des sanctions adaptées et porteuses de sens ainsi que leur suivi en même temps que de prévenir le grave problème des prisons surchargées, devenues criminogènes.
Pour autant, en tout état de cause, police et justice ne pourront régler tous les problèmes de la société sauf à transformer la nation tout entière en un univers carcéral. La solution est donc ailleurs. Elle est de s’attaquer de front à la question sociale, c’est-à-dire de mettre en cause la domination du capital. Et la question sociale numéro un c’est : l’emploi, sa sécurisation avec la formation et sa rémunération. Il faut tout autant en finir avec le recul, la désertification des services publics dans les quartiers populaires mais aussi en zone rurale. Il faut remettre partout du service public, beaucoup de service public : éducation-formation, culture, santé, transports, énergie…
Une autre absence est tout aussi lourde de dangers pour la société c’est le vide de sens qui lui est proposé à part de s’enrichir sur le dos des autres, le voisin, la voisine, de considérer l’autre comme une chose et de rechercher l’argent comme fin et but de toute l’existence. Pourtant, notre société est autrement plus riche d’humanité, de créativité et d’émancipation. L’urgence est donc double : d’une part, lutter contre l’insécurité sociale et la précarisation de tous les aspects de la vie et d’autre part apporter une réponse de sureté immédiate aux populations mises en danger.
Je trouve ce texte remarquable.en ce qu’il propose une analyse en profondeur des questions de “sécurité – sureté”. IL a l’immense qualité de resituer ces questions à partir d’une analyse marxiste en partant des causes pour mieux parler des conséquences et de leurs solutions.
Ma convistion est que ce texte de notre camarade fasse l’objet d’une diffusion nationale sur le site du PCF, dans le cadre d’une tribune permettant de resituer la présence de Fabien Roussel à cette manifestation et de ses propositions sur la sécurité. c’est d’autant plus important que les premières déclarations-propositions de Fabien Roussel manquaient de mise en relation entre le délit et ses causes économiques et sociales. Jean-Marc Durand assure clairement ce lien. Bravo