Éditos

Éditorial – Macron : vers un monde pire que celui d’avant

Le 14 juin dernier à la télévision, E.Macron n'a pas dit mot de l'énorme crise sociale et économique, engagée bien avant que ne débute la pandémie du Covid qui l'a brutalement accélérée. Pourtant, peu après, B. Le Maire annonçait la destruction de 800.000 emplois « dans les prochains mois » et une chute de 11% du PIB cette année.

Le 14 juin dernier à la télévision, E.Macron n’a pas dit mot de l’énorme crise sociale et économique, engagée bien avant que ne débute la pandémie du Covid qui l’a brutalement accélérée. Pourtant, peu après, B. Le Maire annonçait la destruction de 800.000 emplois « dans les prochains mois » et une chute de 11% du PIB cette année.

Ce silence tient au fait que toute l’allocution présidentielle repose sur une hypothèse non explicite mais fondamentale : La France a subi un choc essentiellement sanitaire et exogène, c’est à dire provenant de l’extérieur de la systémique capitaliste à laquelle il s’échine, lui Jupiter, à redonner de l’ascendant dans le pays.

Face à cette catastrophe, il a « fait le choix humaniste de placer la santé au dessus de l’économie » (sic), ouvrant « l’Acte I » de cet épisode de crise avec le confinement des populations et l’arrêt simultané de larges pans de l’activité nationale.

Certes, relève-t-il, il y a eu « des failles, voire des fautes » dans la gestion de l’événement, mais « l’État a tenu, nous n’avons pas à rougir de notre bilan ».

L’autosatisfaction tourne à l’indécence quand on sait le nombre de morts et de drames personnels, les pénuries de masques et de tests pointées même par l’ancien directeur de Santé France qui souligne le contraste avec l’Allemagne, les conditions effroyables imposées aux personnels de l’hôpital public rationné depuis des années et plus encore depuis 2017, le dévouement des enseignants si méprisés, les souffrances et le stress de tous les « travailleurs du quotidien » si exposés et mésestimés, l’explosion du chômage des intérimaires, la discipline de distanciation souvent si difficile à respecter dans les ghettos populaires. Elle jure quand on sait que 13 plaintes collectives ont été déposées par des syndicats et associations auxquelles s’ajoute une quatorzième agrégeant celles de 189.300 particuliers. Sans parler des 80 plaintes portées devant la Cour de justice de la République contre le Ier Ministre et plusieurs membres du gouvernement. Un record mondial !

Malgré cela, un ministre proche de de l’Élysée déclare au journal « Le Monde » du 16 juin : « Celui qui a été le plus allant pour le 11 mai, les écoles,c’est Emmanuel Macron. Et peu de personnes lui en sont redevables ».

On peut désormais « tourner la page du premier acte » triomphe Macron, minimisant les risques d’une nouvelle vague sans cesse pointés par l’OMS. Il s’apprête à changer de gouvernement dont le chef actuel va se retrouver sur le grill judiciaire. L’heure doit être au redressement de l’emploi et à la « reconstruction économique » du pays (expression utilisée six fois en moins de 20 minutes d’allocution), alors que ce dernier est miné par une véritable guerre anti-sociale que lui mène le capital financier. Il va falloir mettre le paquet, prévient l’hôte de l’Élysée, car le « choix humaniste » qu’il a fait alourdira de 500 milliards d’euros la dette publique, la projetant à plus de 121% du PIB cette année. Plus question de parler des « jours heureux »…

Comment financer ? Surtout pas « en augmentant les impôts » assène le Président, refusant toute mise à contribution des plus riches et du capital financier alors que, au prétexte écologique, se préparent de nouvelles taxes. Pour lui, pas question « de revenir en arrière » sur ce qui a été accompli depuis trois ans, « la seule réponse » c’est de « travailler et produire davantage ». Le journal patronal « Les Échos » du 16 juin commente : « Macron se réinvente à droite ». C’est dire.

Ainsi, au nom de « la priorité à l’emploi et à la reconstruction économique », on poursuivra sur le « nouveau chemin » ouvert par le massacre du code du travail avec les ordonnances de 2017 et avec la multiplication de mesures prises par décret, dés avril dernier, affaiblissant le rôle des instances représentatives du personnel dans les entreprises.

Mais, jure le Président, il entend « tout faire pour éviter au maximum les licenciements ». De fait, une réforme ultra-réactionnaire de l’indemnisation du chômage doit être finalisée en septembre pour « faire en sorte que le travail paye plus que l’inactivitéen établissant de nouvelles règles d’indemnisation qui incitent à la reprise de l’emploi »[1]http://www.vie-publique.fr avec, en ligne, paupérisation des chômeurs et obligation d’accepter n’importe quel emploi ou activité. Tout est dit : celle et celui sur qui il faut peser, qu’il faut responsabiliser, inciter pour créer de l’emploi, ce n’est pas l’entreprise ou la banque, c’est le chômeur, « ce pelé, ce galeux d’où venait tout le mal » (J. de La Fontaine). Et d’aucuns dans l’entourage de Macron tournent à nouveau le regard vers la réforme avortée des retraites, d’autant plus, susurrent-ils, que c’est pour sauver la vie des retraités que le confinement a été décidé et qu’il leur faudra bien se montrer solidaires vis à vis de tous ces jeunes qui vont s’enliser sur le marché du travail.

Et puis, c’est promis, le chef de l’ État agira « vite et fort » pour faire reculer « notre dépendance à d’autres continents pour nous procurer certains produits(..)». Son but est clair : « l’indépendance de la France »…surtout vis à vis de la Chine, ce « partenaire mais rival systémique » comme dit Bruxelles. Du capital financier apatride et prédateur, basé aux États-Unis en particulier, les Black Rock et compagnie, pas un mot.

En même temps, parallèlement au recul progressif du chômage partiel montent en régime tout un tas de dispositifs d’aides publiques aux entreprises pour les attirer ou les maintenir en France et pour faire accepter par leurs salariés un « nouveau pacte productif » fait d’allongements du temps de travail, de sacrifices salariaux horaires et d’hyper-flexibilité.

En même temps Renault, qui a tant délocalisé, se voit accorder un prêt garanti par l’État (PGE) de 5 milliards d’euros pour supprimer 15 000 emplois dans le monde dont 4600 en France, fermer des sites de production et même diminuer la recherche. Air France, de son côté, va bénéficier d’une aide de 7 milliards d’euros et supprimer de 8000 à 10 000 emplois, soit 15 à 20% des effectifs du groupe, plusieurs lignes aériennes. Et on mesure le choc pour l’emploi chez les sous-traitants et fournisseurs.

En même temps, le « Ségur de la santé » risque d’accoucher d’une souris. Les revalorisations promises des traitements des soignants, bloqués depuis vingt ans, sont renvoyées dans plus de six mois, le silence est fait sur les embauches alors que de nouveaux efforts de « rationalisation » de l’hôpital public vont accentuer le rationnement de ses moyens humains et matériels. De même, il n’est pas question pour l’heure d’accroître les ressources pour l’école, l’université, la recherche, la formation professionnelle, les crèches, les transports publics…tout en gardant la « distanciation sociale ».

En même temps, les collectivités locales croulent de plus en plus sous le poids des remboursements et des charges financières des emprunts, tandis que l’Élysée entend progresser dans la déconcentration de l’État et une nouvelle réforme institutionnelle pour imposer un encadrement plus strict de leur dépense sociale et pour qu’elles se plient aux exigences des multinationales. On en attend « relocalisations », au détriment des pays de délocalisation, et « attractivité territoriale accrue » au détriment de tous les autres pays engagés dans une folle course aux capitaux.

En même temps, le CAC-40, effondré à 3762 points le 18 mars 2020, est remonté à 4973 points ( +32%) trois mois plus tard, exigeant ainsi un redressement rapide des profits.

Bref, l’accès « à l’indépendance de la France pour vivre heureux et vivre mieux » (sic) que dit rechercher le Président va passer plus que jamais par la baisse du « coût du travail », l’austérité pour les services publics, le « laisser faire, laissez flamber » pour les pouvoirs du capital et son coût.

Eh bien non, tout ça ce serait des histoires, car s’est opéré « un tournant historique (..) résultat d’un travail acharné initié par la France » s’enthousiasme Macron ! l’Allemagne accepte de faire un pas vers un fédéralisme budgétaire ponctuel, via l’émission, par la Commission européenne, de 500 milliards d’euros d’emprunts sur les marchés financiers dont le produit serait réservé aux pays les plus touchés par le Covid ! Et puis, la BCE va continuer d’injecter d’énormes liquidités pour tenir un peu la « cohésion sociale » des pays ( il faut quand même éviter au maximum les révoltes) et soutenir les profits et l’attractivité financière de la zone euro en rivalité avec les places de Londres et de Wall-Street.

Ah l’Allemagne!.. Elle va enfin un peu payer pour que la France aux mains de capitalistes assoifés de profits financiers et de baisses des coûts salariaux et sociaux, puisse continuer de s’enfoncer dans une spécialisation qui, à l’inverse de l’industrieuse RFA, préfère plus que tout les activités financières et de négoce, l’immobilier spéculatif, le tourisme, des activités de services découplées de l’industrie dans un pays sillonné par le fret routier. Quant à l’Europe, toujours sous domination du capital allemand, elle devrait ainsi sombrer un peu plus dans la subordination aux marchés financiers. C’est cela le fédéralisme et c’est avec cela qu’on fera du “capitalisme vert” de gris. Mais tout est encore soumis à l’approbation de pays satellites de l’Allemagne, dits “frugaux“, car trés à cheval sur les questions d’équilibre budgétaire, comme les Pays-Bas. Ils servent à faire monter les enchères en termes de contreparties. Le triomphe macronien pourrait devoir devenir plus modeste.


Dans ces circonstances historiques inédites, il faut prendre la mesure de la responsabilité qui incombe au PCF. Comme le rappelle son dernier congrès, il est le seul parti politique à vouloir chercher à construire, à partir des luttes et jusque dans les urnes, un rassemblement majoritaire transformateur autour d’idées incarnées dans des propositions cohérentes, radicales et réalistes à la fois.

Il y a eu d’abord quelques errements sur les « jours heureux » et la tentation d’union sacrée dans « la guerre contre le Covid » qui ont permis au gouvernement d’obtenir l’unanimité des votes à gauche à l’Assemblée nationale sur le premier projet de loi de finances rectificative. Puis il y a eu la décision d’alimenter, par la signature de dirigeants nationaux, les illusions de divers appels focalisant sur la recherche d’union de sommet ou des plate-formes communes minimales où se retrouvent pêle-mêle le revenu universel ou l’attirance pour un fédéralisme européen. Mais finalement, la direction du PCF, sous le pression des exigences militantes, sous celle du travail mené sur les enjeux économiques, sociaux et financiers, sur ceux de l’école ou de la santé, sur des dossiers industriels majeurs (General Electric, Renault, Air France, l’aéronautique…) et sous la pression des circonstances, a été amenée à corriger la trajectoire, comme en attestent les deux résolutions très majoritairement adoptées par le Conseil national lors de sa session du 12 juin.

L’urgence désormais c’est d’organiser et de suivre, à tous les niveaux, l’action créative des communistes sur ces bases. C’est dire l’importance du travail de direction.

Il y a un énorme enjeu de débat à gauche pour dépasser les différences et se hisser à la hauteur de ce que cherchent les luttes et de ce qu’expriment les contradictions antagonistes de la crise. On ne peut en faire l’économie et il faut l’affronter en associant une visée cohérente d’objectifs sociaux novateurs, de moyens financiers importants à conquérir et de nouveaux pouvoirs citoyens pour le faire. C’est la condition pour progresser vers un large rassemblement majoritaire transformateur à partir d’un engagement immédiat de tous les concernés dans la résistance et la construction face au capital et à la politique de Macron.

Trois grandes idées montent qui favorisent cette dynamique : préserver et promouvoir l’emploi et les compétences, exiger sans attendre une véritable transition écologique, respecter l’égale dignité et la créativité de chaque humain, quelque soit son genre, son âge, sa nationalité, sous peau blanche, brune ou noire .

Cela confirme combien la situation qui se profile pour l’été et la rentrée va placer au cœur de tous les enjeux politiques la question neuve d’une sécurité d’emploi, de formation et de revenu, pour chacun-e et, donc, la responsabilité des entreprises avec des salariés agissant sur leurs choix de gestion.

Cela confirme aussi l’importance vitale d’un très grand essor de tous les services et entreprises publics et de leur rôle moteur pour engager une nouvelle industrialisation respectueuse des hommes et de la nature, capable de répondre aux besoins de développement social et culturel de toutes les populations dans de larges coopérations intimes en France, en Europe et dans le monde.

Après l’immense succès rencontré par la pétition « l’argent pour l’hôpital, pas pour le capital », diffusée sans l’appui de la direction nationale du PCF, par des communistes et des non-communistes, il s’agit de porter cette exigence bien au-delà de l’hôpital lui-même et organiser l’action pour que les milliers de milliards d’euros que l’État et la BCE déversent dans l’économie servent en pratique à répondre aux besoins de vie : protection et promotion de toutes les populations .

C’est dans ce travail exigeant mais nécessaire que pourra se construire enfin une candidature communiste pour l ‘élection présidentielle, engagement majeur de notre dernier congrès, lequel précise qu’une telle candidature doit être conçue pour aider à populariser les idées novatrices de communistes. Elles pourraient ressourcer notre pays et la gauche dans le même mouvement, préparant un essor du mouvement populaire.

5 comments on “Éditorial – Macron : vers un monde pire que celui d’avant

  1. Claude Marchand

    Tout à fait Ok. N’attendons pas le futur CN consacré à la bataille pour l’emploi pour la mener. Ici dans le Montargois sont prévues 200 des 1000 suppressions de postes annoncées par Hutchinson en France, sur un site de 1300 salarîés. Le maire et le conseil municipal de Chalette sur Loing ont réagi, la section PCF a distribué un tract aux portes de l’entreprise mais à ma connaissance rien n’est prévu pour faire connaître nos propositions, en particulier la SEF

  2. Michel Berdagué

    Bonjour Yves,
    …”…et il faut l’affronter en associant une visée cohérente d’objectifs sociaux novateurs, de moyens financiers importants à conquérir et de nouveaux pouvoirs citoyens pour le faire. ”
    100 % d’ accord comme le 100% Sécu , avec ton analyse globale du réel et de la réalité vécue , j’ai prélevé ta phrase où une perspective s’ enclenche tout avec exigence et détermination militantes des communistes en premier chef .
    Et ” moyens financiers importants à conquérir ” est déterminant pour que chaque communiste puisse en conscience exiger à aller conquérir ces moyens financiers .
    Et suite à une réflexion d’ une camarade portugaise Ana – ne recommençons pas ce qui s’ est passé lors de la Commune de Paris 1871 où les Communards-des avaient le territoire de la Banque de France et que par une gestion catastrophique il fut donner à l’ armée réactionnaire de l’ argent , de l’ or …pour en réalité se faire massacrer , car sans argent ces mercenaires n’ auraient pas fait long feu avec Thiers et sa bande capitaliste et bourgeoise .
    D’ où une formation continue des communistes pour qu’ ils le soient sans faille avec la tête et les jambes ..
    Car en face c’ est du lourd , la bourgeoisie de tous les pouvoirs , financiers et culturels dans leur sens , la bataille est très .rude et comme le disait Jacques Lacan pour que le Prolétariat organisé réussisse , il en faut un sacré coup …et ce dans tous les domaines .
    Je tiens à saluer un grand formateur comme toi , et pour la prochaine échéance capitale en 2022 , il y a le camarade sénateur Fabien Gay qui lors d’ un débat avec une ” en marche ” lui a donné une sacrée leçon d’ économie politique qu’ à la fin elle allait dans le sens de Fabien , elle approuvait ses arguments et analyses , j’ ai cru qu’ elle allait venir chez nous .!
    Combien de fois es- tu passé à France Inter , France culture … ?
    Salutations militantes .
    Michel

  3. Jean Leblanc

    Bonjour,
    Je me sens proche des idées du PC (d’où mon abonnement à cet email) mais je trouve vraiment dommage que vous consacriez tant d’énergie à dire ce que fait et/ou ne fait pas Macron (et que par ailleurs on sait par cœur) plutôt qu’à porter vos idées et les défendre.
    je me suis arrêté à « en même temps le ségur de la santé… » parce que j’en ai eu ras le bol… je pense que c’est ce qui me détourne de la politique et des urnes : cette disproportion entre le temps inutile mis à détruire face au temps mis à construire et proposer qui serait si utile…
    Bien à vous, et en toute amitié.

  4. Merci pour l analyse..
    Se rapport m aide , et m apporte un éclairage
    Important dans les disctions , et les luttes.
    Je suis demandeur d aide
    D analyse comme cela
    MERCI
    MARCEL CHENAL

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