Conseil National

Intervention de Frédéric Boccara devant le Conseil national du 12 juin 2020

Résister et construire, telle est la posture qu’il nous faut prendre.

Résister et construire, telle est la posture qu’il nous faut prendre.

Table des matières

Jour d’après ou crise systémique ?

On voit bien clairement, à présent, que nous ne sommes pas dans le « jour d’après ».

La crise économique vient à peine de commencer et elle va se développer. Quant à la crise sanitaire, la prégnance du Corona recule en France et en Europe, même s’il reste dangereux, mais on ne peut pas exclure une nouvelle vague, mais il y a aussi (surtout ?) les autres pathologies dont le traitement a été repoussé retardé en raison de la crise sanitaire.

Ce sont des crises siamoises qui sont interdépendantes l’une de l’autre. Elles ont toutes deux été longtemps sous-estimées, y compris dans notre direction nationale, ce n’est pas faute d’avoir alerté… ! Notre congrès aurait dû nous préparer à l’éclatement de cette crise économique, et même systémique, il suffit d’en relire le document d’orientation.

La pandémie s’est transformée en crise sanitaire en raison de la domination du capitalisme néo-libéral. Quant à la crise économique, elle avait déjà commencé avant la crise sanitaire, et elle l’a en partie provoquée, puis la crise sanitaire a agi comme un révélateur et un catalyseur, décuplant la crise économique qui va encore se développer.

La gigantesque suraccumulation financière mondialisée a miné le système de santé, les éco-systèmes et les capacités de réponse, comme de coordination et de mobilisation au niveau des pays. Elle a aussi énormément fragilisé l’économie et rendue sensible à un tel épisode.

Nous ne sommes pas dans « le jour d’après », mais devons plutôt associer Résistance et Construction.

En effet, il s’agit de ne pas alimenter les illusions des appels qui focalisent sur des unions de sommet, ou des plates-formes communes minimales, là où il y a un énorme enjeu de débat à gauche pour dépasser les différences et être à la hauteur plutôt que de rechercher le minimum. Or il y a, il y a eu, certains errements, disons le mot, y compris dans notre direction nationale. IL ne s’agit pas seulement dépasser les différences à gauche comme fin en soi et voir ce sur quoi on est d’accord, car on pourrait être d’accord sur des éléments trop flous ou qui ne font pas le poids face à l’enjeu véritablement historique. Il s’agit, comme nous l’avons écrit à notre congrès, de mettre nos différences en débat pour avancer sur des réponses à la hauteur, portant une cohérence entre objectifs sociaux, qui peuvent être partagés mais parfois manquent de hardiesse, mais aussi moyens financiers et pouvoirs nouveaux.

Ceci d’autant plus que les récupérations vont bon train. A commencer par celles de Macron qui, comme d’habitude, fait du judo : il parle d’un « Etat fort », de « souveraineté » utilisant l’exigence de changement, d’intervention publique, de maîtrise démocratique, pour pousser encore plus loin son projet de remodelage visant à mettre toute la société au service du capital et de sa domination, dans un appel à l’unité nationale et une intégration européiste. Ne tombons pas dans le piège ! Nous sommes plus en septembre 1940 ou en août 1916 qu’en août 1944 où la reconstruction était à l’ordre du jour.

Résistance, luttes, débat

Est-ce à dire qu’il ne faudrait pas construire et unir ? Bien au contraire, il faut construire et unir, plus que jamais. Mais à partir des résistances, des luttes, des exigences du niveau de réponse et en menant les débats nécessaires. Voyons la colère et le désarroi !

Il s’agit tout à la fois de politiser les luttes et de clarifier les enjeux, en voyant le besoin d’^tre à la hauteur de la colère et des enjeux de renouvellement profond des idées, à gauche comme chez nous, ainsi que le congrès l’a commencé avec son texte appelé familièrement « le Manifeste ». N’opposons pas domination et exploitation, luttes sociales et luttes sociétales, voyons au contraire comme les unes peuvent renforcer les autres. Cherchons à les conjuguer de manière créative au lieu de nous faire des procès d’intention.

Il va y avoir une explosion de chômage. Déjà on enregistre un million de chômeurs en plus. Et les plans de licenciements, de restructuration industrielle, des services ou du commerce n’ont pas eu encore leur effet sur le chômage ! L’essentiel de ce premier afflux de chômeurs, ce sont les fins de CDD et de mission d’intérim. C’est-à-dire pour en grande part les mêmes jeunes que ceux qui se rassemblent dans les manifs contre le racisme ou les violences policières. N’opposons pas. Conjuguons. L’exigence de dignité et de pouvoir sur sa vie, sur la construction de sa vie, est un élément commun sur lequel s’appuyer pour conjuguer.

De façon contradictoire aux idées capitalistes et de fatalité du chômage monte l’idée de préserver les salariés, leurs compétences. C’est très nouveau. Montent aussi des questions profondes sur notre modèle de production et son sens.

Saisissons-nous de ces questions, appuyons-nous dessus pour avancer et mer une bataille d’idées.

Mais menons-la en lien avec les luttes, dans les luttes. Je vois 6 points, mais on peut en trouver d’autres.

  1. Chômage, précarité ou sécurité ? Au lieu du chômage, précarité majeure, la sécurité. Mais pas une sécurité qui enferme, ghettoïse et rabougri. Montons l’enjeu d’une sécurité d’emploi, de formation et de revenu : un nouveau système, à partir des luttes, une autre relation entre travail et non-travail, avec un revenu assuré (soit salaire, soit revenu de formation ou redistribué), avec un temps libéré, avec le droit à une formation pour une autre activité ou pour développer efficacement la même activité, et surtout avec des leviers pour agir sur les entreprises et sur l’utilisation de l’argent par les entreprises et les banques, leurs choix de production, d’embauche, d’investissement, de recherche.

    Nous pouvons aller à la rencontre de la revendication de dignité et de pouvoirs sur sa propre vie qui traverse la jeunesse. Ne l’opposons pas à la bataille contre le racisme, elle traverse aussi bien les ouvriers licenciés de Renault, les gilets jaunes mais aussi les couches moyennes, profs, soignants ou cadres.
  1. La mondialisation. Le besoin de coopération s’est fait sentir comme jamais, les exigences sur l’OMS en sont emblématiques. Mais il y a aussi l’enjeu de partage de coûts. Elle est fondamentale pour une nouvelle efficacité opposée à celle du capitalisme en crise profonde. Pensons au partage des brevets, par exemple. Mais il faut aussi la maîtrise des localisations, contre la récupération par le souverainisme et des mots sur l’industrie, chez Macron, à droite ou à l’extrême-droite. Il faut récuser l’idée d’une unité nationale derrière un patronat qui serait, prétend-on en plus, « bien de chez nous » ! Il faut faire attention au terme de « relocalisation », qui peut se traduire par la suppression de production au sud pour produire chez nous contre le sud, et en rabaissant au passage nos conditions sociales et salariales. Montons bien l’idée de maîtrise qui implique à la fois des pouvoirs nouveaux sur les localisations des investissements et d’appliquer d’autres critères de choix que ceux du taux de profit. Enfin, portons des idées sur l’organisation du monde, les institutions coopératives nouvelles, tant au plan mondial que de l’Union européenne.
  2. La création monétaire. Des milliers de milliards sont injectés dans l’économie par les banques centrales (par la BCE, 1.500 milliards + 3.000 milliards). On ne peut pas laisser faire sans rien dire ! Est-ce que ces milliards vont aller au capital et aux profits ou à l’emploi, aux services publics, au développement humain ? Le succès – inattendu – de la pétition « de l’argent pour l’hôpital, pas pour le capital », signée par plus de 100.000 personnes, doit nous donner confiance pour oser ! Il est normal et indispensable que la création monétaire soit mobilisée : en ces temps où les PIB (base in fine des impôts) reculent c’est la création monétaire qui est mobilisée immédiatement, comme en temps de guerre. Les impôts, leur transformation nécessaire ne pourra porter que sur quelques dizaines de milliards et viendra après.
  3. Les entreprises. C’est peut-être l’enjeu politique caché le plus fondamental. Tout fait ressortir leur pouvoir, leur capacité d’action, les critères qui les dominent et le besoin d’autres critères : l’incapacité à produire ce qui est nécessaire, la façon dont les salariés ont été traités, le besoin de changer de modèle de production dans de nombreuses filières. Conquérir des pouvoirs sur les entreprises doit devenir une question fondamentale. Une question politique. Et ceci dans pour un projet de gauche ressourcé par l’apport communiste : nationalisations, pouvoirs des salariés et habitants, critères de gestion, maîtrise du crédit, autre fiscalité sur les profits, planification stratégique, etc.
  4. Les services publics. L’immense disette des services publics doit continuer à être dénoncée, plutôt que le discours macronien sur leur prétendu manque de liberté… celle du marché ! Le besoin de moyens financiers massifs pour les services publics peut devenir une grande question de société, transversale, unificateur des couches populaires aux couches supérieures, en passant par les couches moyennes, des jeunes aux retraités, en passant par les salariés ou les inactifs, des femmes aux hommes. Leur rôle est fondamental pour le développement de chacun, dans son émancipation et son autonomie. Il devrait l’être pour impulser au cœur de la démocratie le développement des différentes filières, reliant dans chaque filière services, industrie et distribution. Il suffit de penser à la filière santé ! Profondément rénovés, radicalement démocratisés et élargis, ils sont au cœur de notre projet de société.
  5. Institutions. De ce point de vue, porter l’exigence de nouvelles institutions est décisif. Des institutions citoyennes reliant besoins de développement et argent, organisant des concertations et exerçant des pouvoirs sur les entreprises et les banques. Cela décrit les conférences citoyennes, régionales et nationale, que nous exigeons. Elles peuvent être porteuses, à travers les luttes, de l’exigence d’une cohérence nouvelle.
  6. Cohérence nouvelle. La question d’une cohérence nouvelle est fondamentale.

A propos de ce besoin d’une cohérence nouvelle et de débat à gauche, je voudrais prendre l’interview de Martine Aubry dans le JDD de dimanche dernier. Dans une première partie, elle monte le ton sur les licenciements, qui doivent être refusés par l’administration, flatte l’idée de « revenu d’existence », exige une fiscalité sur le capital et le rétablissement de l’ISF… sans un mot sur le lien entre l’emploi et les alternatives pour de nouveaux projets de production, ni sur la formation, ni sur les entreprises. Dans un second temps, de façon complètement séparée, elle insiste sur l’écologie et la production, mettant en avant le besoin de dépenses publiques, d’emprunt, mais sans un mot sur les entreprises, les critères du capital qui les dominent. Bref pas de lutte de classe contre le capital, et pas d’enjeu politique sur les entreprises : un accompagnement technique public et consensuel. Enfin, dans un troisième temps, séparé lui aussi, pour la « solidarité », il y a les services publics. Pas un mot de leur dimension émancipatrice, ni, surtout, du lien avec l’emploi ni avec les entreprises et la réorientation écologique et sociale de la production. Les banques et les entreprises sont totalement absentes de tout le texte, de même que l’Europe et la BCE !

A gauche, nous pouvons partager des objectifs sociaux : emploi, écologie, services publics. Mais il faut une ambition à la hauteur des défis du 21è siècle ! Il faut aussi mettre sur la table la question des banques et de la création monétaire.

Précisément, portons le débat sur des objectifs ambitieux (autour de l’idée de sécurité d’emploi ou de formation), sur le besoin de cohérence nouvelle avec des moyens et des pouvoirs sur les entreprises et les banques, une cohérence opposée à celle du grand capital. Portons le débat sur l’exigence d’une autre mondialisation.

Tout cela pourrait s’incarner dans de nouvelles institutions à construire à partir des luttes, des comités d’action ou de mobilisation, dans une perspective révolutionnaire.

Il nous faut nous armer, nous outiller pour mener le débat et la pédagogie dans les luttes contre la domination du capital. Plutôt que de chercher sans cesse une plate-forme commune minimale. Plutôt que de construire des blancs « à blancs » étatistes et d’en haut. Il nous faut formuler des propositions qui soient des outils pour les luttes et donnent en même temps un sens politique.

Les textes proposés

Le texte long qui est proposé contient des énoncés et propositions que je partage, et avance un plan d’urgence, immédiat. Mais son statut n’est pas clair : feuille de route pour les présidentielles ? révision de nos propositions alors que nous avons tenu un congrès qui les énonce clairement ? Eléments de négociation pour un plate-forme commune ?

Heureusement, il est complété par un texte d’appel à la mobilisation de tout le parti, un e « résolution ». Ce texte peut servir de boussole, même si j’aurais préféré qu’on ne liste pas les batailles. Il insiste sur la coéhrence nouvelle que nous pouvons chercher à porter.

Dans un esprit d’unité du parti et de mise en mouvement du PCF, je voterai ces deux textes.

Deux points sur la résolution. Elle insiste sur notre responsabilité de Conseil national, en tnat que direction nationale du parti : aider à l’intervention, la politisation, organiser. Elle insiste sur l’emploi. Il constitue un carrefour fondamental entre les aspects économiques et non économiques, car il renvoie à la personne humaine dans toutes ses dimensions. Nous voulons une émancipation qui libère de l’exploitation et du travail salarié capitaliste, sans enfermer dans un ghetto niant le travail et l’emploi, sans enfermer dans un travail asservi, au service du capital, dont on ne décide pas le sens, étant mal payé dans les deux cas. Il s’agit de se libérer d’un asservissement par l’économie et le capital pour développer sa dignité, les activités dignes et permettre la construction de sa propre vie, dans une société.

Je me félicite de la tenue d’un Conseil national sur l’emploi début septembre. En tant que responsable emploi, j’aurais à cœur de le préparer collectivement avec tous les secteurs de travail du CN, ainsi que les fédérations et sections.

Résister et construire

Nous avons devant nous la grande tâche, je crois, de construire un grand mouvement populaire et politique contre la domination du capital, pour une tout autre logique, pour des sécurités de vie émancipatrices. Il s’agit d’aider l’ensemble des combats émancipateurs à converger.

La crise renforce le besoin du PCF, de son apport original. Elle renforce le besoin de construire les conditions d’une candidature communiste aux présidentielles, mais aussi aux régionales, pour notr apport originale et comme jalons pour construire un tel mouvement.

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