Le texte qu’on nous propose d’adopter contient beaucoup de choses de nature à nous rassurer sur notre capacité à prendre en compte, dans nos expressions publiques, des éléments de nos orientations de congrès. Mais l’essentiel est devant nous : c’est de faire que les idées les plus pertinentes exprimées ici ne soient pas considérées comme un élément de décor, mais que nous nous servions de leur cohérence pour agir concrètement en vue de faire entendre nos idées dans le débat public et de favoriser ainsi le rassemblement dans la résistance et dans la construction de l’alternative.
C’est à cette préoccupation que vise à répondre le texte court qui nous est également soumis.
Il faut partir, non pas d’a priori idéologiques mais des questions que les gens se posent. Et en ce moment, des millions de gens se posent une question : est-ce que je vais rejoindre le million de chômeurs annoncés pour l’année qui vient ?500 000 d’entre eux ont déjà la réponse : ils sont passés dans la catégorie A des demandeurs d’emplois au premier trimestre, alors que le cataclysme social ne fait que commencer à peine. Les premiers touchés ont été les plus précaires : intérimaires, intermittents, ubérisés, titulaires d’emplois précaires dans la restauration, etc. Mais les plans de licenciements commencent à arriver. Les syndicalistes d’Airbus, de Safran, d’Air France, de General Electric, tous nous disent : ce qui domine chez les salariés, c’est la peur de faire partie des prochaines charrettes. D’où l’extrême difficulté des syndicats à combattre les projets de dégradation des salaires, des horaires et des conditions de travail qui s’appuient sur le chantage à l’emploi. Et il y a les myriades de sous-traitants des grands groupes, des très petites entreprises du commerce, de la restauration, de la culture, dont les salariés se demandent : est-ce que mon patron va tenir ? Et puis il y a toute une génération de jeunes dont le sol se dérobe sous leurs pas au moment de leur entrée sur le marché du travail ! Ce serait une erreur, je crois, de s’imaginer que cette situation mondiale n’a aucun rapport avec la révolte mondiale de la jeunesse contre le racisme.
Le gouvernement affiche de grosses sommes pour Air France, pour l’aéronautique, pour l’automobile, pour le bâtiment. Mais jamais la protection de l’emploi et des salaires, la préservation et le développement des compétences des salariés ne sont posés comme condition d’accès à ces aides. La doctrine du gouvernement, c’est : aidons les entreprises, et laissons-les gérer les suppressions d’emplois auxquelles la rentabilité de leur capital va les contraindre ! Message reçu par les PDG, comme celui d’Air France qui, le jour même où il reçoit 7 milliards apportés par les banques avec les garanties de l’État, et par l’État lui-même, annonce que des milliers de salariés d’Air France sont sûrement prêts à quitter « volontairement » l’entreprise. Tout cela habillé d’un discours dont le vernis prétendument écologiste s’écaille au premier examen, pour peu qu’on prenne au sérieux le défi du réchauffement climatique et des économies d’énergie.
Comment réagir à cette situation ? Accepter la mise au chômage de centaines de milliers de salariés et tâcher d’adoucir leur sort en aménageant le chômage partiel ou en distribuant des aides pécuniaires comme aux États-Unis ? C’est au-dessus des moyens d’une économie qui va se contracter de quelque 11 % en 2020, selon les prévisions de la Banque de France ou de l’OCDE, et qui peut même s’effondrer encore plus si une deuxième vague de l’épidémie se produit ou si le krach financier que prépare l’action des banques centrales se produit.
En réalité, la seule réponse à la fois digne et réaliste au tsunami du chômage, c’est celle, par exemple, de l’intersyndicale d’Air France qui reprend le slogan de la CGT : 7 milliards = 0 chômeur en plus ! La cohérence de notre projet de sécurisation de l’emploi et de la formation – objectif, moyens financiers, pouvoirs – est ainsi en phase avec ce qu’il y a de plus avancé dans les premiers actes de résistance aux attaques du capital.
Des objectifs : sécuriser l’emploi, éradiquer le chômage, c’est-à-dire dépasser radicalement le salariat capitaliste ! ça paraît très ambitieux et ça peut faire hésiter parce que ça suppose de combattre de front la logique du capital mais c’est la première priorité. L’emploi, c’est le point de rencontre entre l’économie et les êtres humains, en tant que le travail est l’un des moments de leur vie – à côté du moment parental, du moment politique et du moment psychique et culturel. On marche sur la tête ! D’un côté, le tsunami des licenciements privé, et en même temps l’explosion des besoins urgents d’embauches et de formation dans le secteur public – 100 000 dans les hôpitaux, 300 000 dans les EHPAD, et encore plus dans les autres services publics, éducation, recherche, énergie, transports, justice, sécurité, au moment où l’offensive contre les statuts publics redouble à la faveur de la crise ! La pratique du confinement a permis de mieux voir que réduire le temps de travail et consacrer beaucoup plus de temps à la formation, pour préparer les nouveaux métiers de la révolution écologique et de la révolution informationnelle, non seulement c’est possible mais c’est bon pour l’efficacité des entreprises et des services publics !
Les moyens financiers ? Ils coulent à flot, mais pas pour les travailleurs et les populations ! On l’a vu pour les plans du gouvernement. Quant à la BCE avec sa partenaire en France, la Banque de France, elle est en train de déverser 1 650 milliards sur les marchés financiers, sous forme d’achats de titres ! L’effet ne s’est pas fait attendre : les marchés sont euphoriques depuis la fin mars, c’est-à-dire qu’ils vont tomber d’encore plus haut quand le krach va finir par arriver. Voilà de l’argent – plus de 250 milliards pour la France ! qui doit servir, au contraire, à un fonds de développement des services publics, finançant, à taux zéro ou négatif, des projets démocratiquement élaborés, décidés, exécutés, contrôlés, par les citoyens.
Mais la BCE ne s’en tient pas là ! Elle a annoncé au moins 3 000 milliards de prêts à -1 % aux banques avec comme seule condition qu’elles prêtent aux entreprises et aux ménages. Mais des crédits pour quoi faire ? Pour supprimer des emplois ? Pour remplacer des hommes et des femmes par des machines et des ordinateurs ? Pour délocaliser ? Pour acheter des titres financiers en spéculant sur le soutien des banques centrales au marché ? Cet argent devrait servir à sécuriser l’emploi et la formation, particulièrement dans les TPE-PME, en poussant les banques à leur accorder des crédits de trésorerie à trois, quatre ou cinq ans, à taux nul, négatif et même fortement négatif, pour leur permettre de tenir dans la crise, mais à une condition : qu’elles maintiennent les emplois et les salaires, et qu’elles utilisent ces moyens financiers pour rendre plus efficace la création des richesses avec lesquelles, demain, elles pourront rembourser, en totalité ou en partie, les sommes ainsi avancées.
Le pouvoir d’utiliser cet argent, il faut l’arracher des mains du capital. Pour cela, il faut révolutionner les institutions, créer des institutions nouvelles. Ce doit être l’objet de conférences régionales et d’une conférence nationale de sécurisation de l’emploi, de la formation, de la transformation productive écologique et sociale, de l’égalité professionnelle femmes-hommes. On y définira des objectifs chiffrés de créations d’emplois, de programmes de formation, de recherche, d’investissements, et on y définira les moyens financiers de les réaliser. L’« ardente obligation » qui doit s’imposer à tous les acteurs de ce qui préfigure une nouvelle planification démocratique et décentralisée, c’est la sécurisation de l’emploi et de la formation.
Et puisqu’il n’y a pas de pouvoir sans moyens financiers, ces moyens doivent être concentré dans une fonds d’urgence sanitaire et de sécurisation, conforté par des fonds régionaux et par un pôle financier public, destiné en particulier à financer les projets de développement des services publics et d’attribuer des bonifications d’intérêt aux entreprises qui s’engagent à préserver et à développer l’emploi, la formation, les salaires.
Cette cohérence va être d’une aide considérable au mouvement syndical attaqué de toutes parts et menacé du virus de la division. C’est cela qui inspire notre décision de créer les conditions d’exprimer nos idées par des candidatures communistes aux élections départementales, régionales, présidentielle et législatives. Mais tout de suite, prenons donc l’initiative, dans les régions, les grands bassins d’emplois, les entreprises où il est vital que nous reprenions pied. Appelons à constituer des comités de mobilisation pour les services publics, pour l’emploi et les salaires.
Le conseil national sur l’emploi prévu à la rentrée ne sera pas de trop pour armer tout le Parti.
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