Le texte de Jean Chambon publié dans notre blog la semaine passée suscite des commentaires. Jean Chambon répond à deux d’entre eux : Denis Krys et Alain Boussard.
Le point de vue de Denis Krys et celui d’Alain Boussard sont consultables dans les commentaires de l’article de Jean Chambon.
Réponse de Jean Chambon à Denis Krys
Cher camarade Denis,
J’ai lu avec intérêt ton commentaire et te remercie de participer à ce débat important pour notre peuple et pour notre parti. Tu ne seras pas étonné que je partage la première partie de ton commentaire ainsi que ton interpellation formulée dans la seconde que je résume : notre position de principe nous conduit-elle à placer l’intérêt du parti avant le besoin d’un rassemblement populaire agissant ? C’est une question majeure à laquelle notre dernier congrès répond. C’est le rassemblement populaire agissant à la construction duquel notre parti doit mobiliser toutes ses forces qui créera les conditions de la crédibilité et de l’efficacité d’une candidature communiste à la présidentielle et du niveau le plus élevé d’éventuels accords d’union. Je n’oppose pas rassemblement populaire et union, mais pour moi, celle-ci se situe en bout du processus et non comme son point de départ. L’union est un moyen et non un objectif en soi qui se substituerait au rassemblement populaire !
La vraie question posée alors à tous les communistes est celle-ci : quel contenu, quelle bataille idéologique, quelles initiatives autonomes les communistes doivent-ils porter de manière offensive avec les salariés et les citoyens pour qu’ils se mettent en mouvement pour porter leurs exigences et avec conscience des rapports de forces et des obstacles à lever ? Il s’agit donc bien de traduire dans la vie notre singularité de communiste. De ce point de vue, nos idées, nos propositions transformatrices en rupture avec le capitalisme et toutes les variantes libérales sont le moyen d’ouvrir la voie à un dépassement du capitalisme et à une nouvelle civilisation.
L’objectif de ce blog et des articles que tu pourras consulter est de nourrir cette démarche de fond, d’être une aide aux communistes pour qu’ils la fassent vivre.
Réponse de Jean Chambon à Alain Boussard
Cher Alain,
Bien sur que la discussion n’est pas close et heureusement!
Ce qu’il faut justement, c’est ouvrir cette discussion en veillant aux termes. C’est en cela que le dernier congrès a décidé d’une stratégie nouvelle à défricher. Comme tu as pu le lire, je termine par la citation du texte du congrès consacré à cette question:
«L’élection présidentielle est un moment structurant de la vie politique. Si elle bride les potentialités du mouvement populaire en les conditionnant à une personnalisation du débat politique, sur-détermine l’ensemble des échéances électorales, elle est incontestablement l’occasion pour chaque formation de mettre en débat son projet et ses idées à l’échelle du pays. Le Parti doit travailler à créer les conditions d’une candidature communiste à l’élection présidentielle de 2022.»
Créer ces conditions sont de la responsabilité des communistes et de toutes les organisations du parti. Y parvenir est possible et nécessaire j’en suis convaincu.
Notre orientation politique a pu être décidée parce qu’au préalable nous avions cherché à comprendre pourquoi nous ne parvenions pas malgré l’engagement des communistes, à avoir des résultats à la hauteur de nos ambitions tant en forces organisées qu’en audience électorale.
La 1ère partie du texte adopté par le congrès intitulée « un bilan critique » montre que c’est la politique d’effacement du PCF avec la participation à des accords de sommet, souvent au contenu très discutable d’un point de vue révolutionnaire, dans lesquelles nous nous sommes dissous, et sans l’existence d’une mobilisation populaire forte, qui ont conduit à cette situation d’affaiblissement.
Je n’oublie pas que l’élection présidentielle est à opposé à nos idéaux et n’est pas favorable aux communistes. C’est d’ailleurs la principale raison de sa promotion par les libéraux comme modèle de “démocratie” alors qu’il ne s’agit que d’une personnalisation outrancière et centralisatrice du pouvoir qui vise à mettre les citoyens devant le fait accompli et uniquement spectateurs de décisions prises les concernant. Macron en est la symbolique dernier cru.
Notre parti doit donc retrouver sa pleine autonomie d’idées, d’expression, d’initiatives et d’action, ce pourquoi il existe, pour faire vivre un véritable projet de société au coeur des mobilisations avec des propositions alternatives transformatrices en rupture avec la logique du capital, comme l’a décidé notre dernier congrès.
L’élection présidentielle est donc le moyen d’affirmer et de populariser à grande échelle la singularité communiste aux travers nos analyses marxistes, nos idées et nos propositions. Notre score établit l’état du rapport des forces à un instant T mais qui est très important pour les suites et notamment pour gagner des contenus aux accords d’union à gauche auxquels nous ne renonçons pas mais qui se situent au bout du processus et non comme son point de départ. L’union est un moyen et non un objectif en soi qui se substituerait au rassemblement populaire !
Nous visons l’efficacité de la candidature à la présidentielle, elle n’est pas gagnée d’avance pour tout parti politique et encore moins pour notre Parti, c’est pourquoi il revient d’en créer les conditions. A 2 ans de la présidentielle, c’est dès maintenant que tout le parti, et en premier lieu sa direction nationale, doit s’engager à construire un mouvement populaire agissant porteur d’objectifs transformateurs débattus avec les salariés et les citoyens.
Tant que cet objectif n’est pas clairement défini, énoncé et porté en pratiques personne ne trouvera d’utilité à une candidature communiste pour soi-même et pour l’ensemble. Quand, de plus, on reste longtemps effacés, un vide se créé propice à l’installation d’autres forces et outils politiques qui n’ont alors aucun mal à occuper notre espace politique sans pour autant changer les choses concrètement pour les gens, voire pour faire l’inverse !
Il s’agit donc de ne pas retomber dans l’impasse des constructions “de sommet” coupées des réalités populaires, et vécues comme politiciennes, et de réaffirmer le refus de l’effacement du PCF.
La fracture entre citoyens et institutions appelle une conception totalement renouvelée du rapport entre union majoritaire et intervention populaire agissante.
La période que nous vivons ne peut définitivement plus être celle de l’aménagement du système mais celle de son dépassement, c’est-à-dire l’ouverture de voies nouvelles pour “autre chose” au-delà du capitalisme. Cet autre chose, c’est une nouvelle civilisation faite par et pour les êtres humains, un nouvel âge de la démocratie pour l’émancipation humaine et donc opposé au “marché” et au capital et sa logique mortifère.
C’est en se battant pour cette démarche, cette fonction politique et ces objectifs que notre Parti retrouvera son utilité et donc son audience dans les milieux populaires. Il n’existe pas d’autre voie !
Les autres voies, sous diverses formes, nous les avons déjà empruntées. Les résultants sont là, décevants ! Les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets, il serait, malgré le congrès, déplorable de vouloir les reproduire une fois de plus.
Cher Jean,
D’abord merci de ta réponse et de cette possibilité de débattre. Voici la mienne qui pourrait, au moins pour une part, paraître sans objet lorsque l’on peut lire sous ta plume et même certains passages de la résolution du congrès, que présenter un-e candidat-e du Pcf à l’élection présidentielle est un objectif. Cet objectif, je le partage. Encore faut-il que ce soit bien un objectif. S’il s’agit bien d’un objectif, en quoi se déclarer pour le principe d’une candidature commune aux citoyen-ne-s de gauche et militer pour en réunir les conditions, serait-il contradictoire ?
Or, d’une part, il ne s’agit pas vraiment d’un objectif pour tous les camarades puisque beaucoup vont affirmant qu’il en sera ainsi, « puisque le congrès l’a décidé », quoi qu’il en soit. Et puis restent 2 questions et pas des moindres :
1°) Le Pcf pense-t-il que la situation permette de laisser les citoyen-ne-s de gauche disperser leurs suffrages lors de l’élection présidentielle ? A ne rien dire sur ce point, il ne peut que le laisser penser. Cela prépare peut-être la présentation d’une candidature Pcf. Mais c’est une décision, celle de s’accommoder de la dispersion, de la désunion populaire, qui n’a pas été prise. Mon option sur ce point est claire et nette. Je souhaite que mon Parti affiche son souhait de l’union populaire à gauche jusque dans les urnes du 1er tour de la présidentielle et non qu’il se contente (comme les autres, de se dire pour l’union, ce qui, en l’absence d’initiatives spécifiques à cet effet et même d’initiatives novatrices, finit pas ressembler à un simple appel au ralliement et alors où est la différence avec le sectarisme ?).
2°) Quand bien même nous opterions finalement pour une candidature commune et que cela se puisse, comment ce-tte candidat-e sera choisi-e ? Si nous n’innovons pas profondément dans le sens de la “citoyennisation” de ce choix, sur quoi d’autre reposera-t-il que sur un accord entre formations politiques dans la perspective duquel, lorsque l’une de ces formation prétend chercher ce résultat au nom de l’union, elle n’espère en réalité qu’une chose, c’est de s’imposer aux autres. Dans cette approche, on prive les citoyen-ne-s d’un choix qu’il serait à l’honneur des communistes de viser à leur restituer et l’on a les meilleures chances de préparer l’échec de la possibilité d’une candidature commune à gauche.
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Si l’on a vraiment la volonté de rendre la politique aux citoyen-ne-s et si l’on accorde vraiment la primauté au mouvement populaire, les questions du rendez-vous de la présidentielles sont toutes à traiter maintenant. Vouloir une candidature commune aux citoyen-ne-s de gauche dans la diversité de leurs sensibilités, c’est non seulement cohérent avec le fait que ce sont les peuples qui font l’histoire (et cela vaut toujours mieux que toute avant-garde), mais ce n’est pas de nature à entraver, ni l’exposé de nos analyses et propositions, ni nos initiatives autonomes, ni pour finir l’atteinte de l’objectif que ce-tte candidat-e soit issu-e du Pcf. Convenons que si cela était, par choix des communistes, un résultat du choix des citoyen-ne-s de gauche, cela aurait de la force. Et même si les citoyen-ne-s n’en décident pas ainsi, pas cette fois, cela nous (et donc leur) donnerait des forces utiles pour la suite.
Quelques mots sur la manière de permettre aux citoyen-ne-s de gauche de choisir leur candidat-e : pour cela, le Pcf devrait viser à réunir les forces de gauche autour d’un “socle”, d’un “Pacte” d’orientations, de valeurs, authentiquement de gauche et écologistes (donc pour la rupture avec le capitalisme), mais évidemment sans chercher à imposer ses vues, à régler tous les désaccords ou énoncer tout ce qu’un gouvernement et une majorité de gauche feraient, comme si le vote majoritaire pour un texte le plus riche et le plus précis qu’il soit, pouvait avoir la vertu de tout changer.
L’affrontement de classe se poursuivra avec ses aléas. Ce n’est que la force et la clairvoyance du mouvement populaire à gauche qui décideront des suites. Pour importantes que soit la clarté et la pertinence des solutions en faveur desquelles les citoyen-ne-s pourront se prononcer au 1er tour de l’élection présidentielle de 2022, ce qui justifie bien entendu que le Pcf agisse pour faire connaître les siennes, dans l’action et l’aiguisement du débat public à gauche, nous n’allons tout de même pas survaloriser ce que le levier électoral peut représenter pour ce qui est de transformer la réalité. Il traduit un rapport de forces et peut servir à l’améliorer par l’énergie que le résultat peut transmettre au mouvement populaire de transformation de la société. Il ne peut remplacer le mouvement populaire.
Autour de ce « socle » les citoyen-ne-s seraient appelé-e-s à se réunir par leur signature publique. La liste des citoyen-ne-s habilité-e-s à participer au choix du ou de la candidat-e commune en résulterait. C’est le choix d’une primaire, mais tout autre que celle du Ps.
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Enfin, 2 commentaires, l’un par rapport à ton emploi du mot UNION et l’autre par rapport à l’enjeu que tu prêtes à la pénétration de nos solutions dans les consciences.
UNION
– Entre formations de gauche, à moins d’une fusion organique, je me garderais de parler d’union. Ce qui peut exister entre elles, ce sont des accords politiques. Ils peuvent être durables. Ils peuvent être pour le temps d’une élection. Réservons union à l’union populaire que nous visons à développer autour des meilleures valeurs et réformes révolutionnaires de gauche.
– Faire pour 2022, le choix de principe, de viser à présenter un-e seul-e candidat-e, pour permettre aux citoyen-ne-s de gauche de former le rassemblement le plus nombreux possible, ce n’est pas faire l’union. Le mot étant à réserver comme je l’ai dit, c’est afficher que l’on recherche l’accord politique avec les formations de gauche pour atteindre cet objectif-là.
– Viser un tel accord politique n’impose aucunement au Pcf de mettre ses analyses, ses propositions sous le boisseau. Tout au contraire. Je ne vois pas bien en quoi leurs possibilités de rayonner pourraient en être amoindries
L’ENJEU DÉCISIF DE LA PÉNÉTRATION DE NOS IDÉES DANS LES CONSCIENCES
Aucune objection. Mais aussi fort que nous puissions en être convaincus, est-ce à dire que tant que la mesure électorale du soutien à nos idées ne témoignera pas qu’elles sont majoritaires, nous serions tentés de ne plus apporter notre concours à la moindre possibilité de pas en avant, ces pas que le mouvement populaire tel qu’il est aura rendus possibles ? Nous flirterions alors avec le gauchisme, non ?