Crises, alternatives, actions

Nécessité contradictoire d’union de débat et de cohérence

Nous voulons une nouvelle civilisation, dépassant le capitalisme et le libéralisme globalisés. Une civilisation où la retraite est un nouveau moment positif dans la vie – alors qu’à l’opposé l’âge de départ effectif se rapproche dangereusement de l’espérance de vie en bonne santé. Mais aussi une société où les retraités sont un apport à la société, au développement des activités, où ils y jouent un rôle moteur.

Extrait du livre Les retraites : un bras de fer avec le capital aux éditions Delga

Nous voulons une nouvelle civilisation, dépassant le capitalisme et le libéralisme globalisés. Une civilisation où la retraite est un nouveau moment positif dans la vie – alors qu’à l’opposé l’âge de départ effectif se rapproche dangereusement de l’espérance de vie en bonne santé. Mais aussi une société où les retraités sont un apport à la société, au développement des activités, où ils y jouent un rôle moteur. Et, comme on l’a vu, l’avidité démultipliée du capital suraccumulé conjuguée à la crise d’efficacité et aux défis sociétaux comme démographiques rend de moins en moins possible la conciliation entre exigences du capital et exigences d’émancipation. D’où la crise mondiale des réformismes sociale-démocrate comme celle du néo-libéralisme globalisé. Cela nous appelle fondamentalement à sortir des conservatismes en ayant l’audace d’une réforme ambitieuse et de progrès social.

Nécessité contradictoire d’union, de débat et de cohérence dans les propositions.

Un front d’action des forces populaires et progressistes est en construction pour faire gagner une alternative progressiste. Il faut pousser les convergences pour une réforme, tout en menant le débat, en dialoguant. Car il faut qu’elle soit cohérente et au niveau des défis actuels.
Nous avons ainsi lancé très tôt, avant même l’appel des forces de gauche, un Appel avec des axes de propositions alternatives pour faire gagner cette grande bataille nationale pour nos retraites, signé par des personnalités syndicales, associatives et intellectuelles diverses et importantes. Il a aussi été signé par un certain nombre de responsables politiques, dont nous-mêmes, dans l’exigence d’une nouvelle relation entre ces forces et les partis politiques, cherchant à tourner la page du cloisonnement exagéré qui a marqué les suites de 1995, mais sans retomber dans certaines errances du passé. Nous avons la faiblesse de penser que, en complément du poids considérable de la mobilisation populaire, cet Appel a contribué à commencer à faire bouger les lignes à gauche, au moins en principe et dans certains actes d’opposition.
Rappelons que l’Appel met en son cœur la question du financement, avec deux axes majeurs : une cotisation nouvelle sur les revenus financiers ; la modulation du taux de cotisation comme levier sur la politique d’emploi et de salaires des entreprises, tout en affirmant le besoin d’en finir avec les exonérations. Il relie cet ensemble à trois autres axes : les services publics du 3e et du 4e âge, ou de l’emploi (y compris de nouveaux dispositifs de sécurisation) ; la démocratie du système de retraites ; l’unification du système vers le haut.

Deux bougés : les revenus financiers des entreprises, l’idée d’une modulation

Ainsi, l’idée d’un élargissement de la base des cotisations aux revenus financiers des entreprises, et pas seulement des ménages commence à être largement reprise, y compris dans des propositions parlementaires de la gauche.
Mais la proposition « négative » et dissuasive de cotisa- tion sur les revenus financiers a sa cohérence surtout si elle va de pair avec la proposition « positive » et incitative de modulation des taux de cotisations.
Car elle propose un chemin de progrès aux entreprises pour les emmener vers une autre logique. Ceci, contrairement aux limites, par exemple, de la gauche de 1981-82, ou d’une certaine vulgate keynésienne. On ne peut en effet se contenter de limiter la logique existante, ou d’une simple politique de la demande. Il faut agir sur l’offre, sur les coûts, selon une autre logique. Donc entrer dans une autre relation avec les entre- prises, relever le défi dit « de la compétitivité » et de leurs critères de gestion, le défi du type d’incitations s’exerçant sur elles. C’est par exemple le débat sur le coût du capital versus le « coût du travail ».
Or de ce point de vue, on observe une chose très nouvelle, un potentiel en germe mais à cultiver. L’idée de modulation des taux de cotisations, après être revenue au cœur des propositions du PCF (dont la première formulation revient à Paul Boccara dès 1978) a été développée dans l’Appel que nous avons lancé. Elle est à présent reprise dans différents projets alternatifs : notamment celui du PS ou celui d’Attac et de Copernic conjugués. C’est une avancée très importante. Mais, elle n’est pas encore claire et reste trop limitée pour avoir un effet. Elle peut n’être qu’un pansement. Ce manque de clarté et de cohérence peut ouvrir la voie au rabougrissement de la modulation et donc à son échec si la clarté n’est pas faite.
En effet, il s’agit pour l’instant, dans ces projets, d’une modulation portant uniquement sur la pénibilité (PS) ou portant sur des éléments partiels et contournables, comme certains types de contrats (Attac et Copernic). Cela viderait de sa portée effective cette proposition. Elle deviendrait une mesurette, vidée aussi de son efficacité et de son rendement. Pour être efficace, elle doit être plus robuste et porter sur l’ensemble de l’emploi et des dépenses salariales comme de formation. Il s’agit d’une grande question de fond politique : commencer à inverser tout le système d’incitation à la baisse du coût du travail ! Pour cela, il faut faire monter la compréhension de la cohérence et son appropriation populaire.
D’autant que l’Appel que nous avons lancé affirme beaucoup plus clairement la modulation et son sens. Cela montre que cette idée de modulation est soutenue par un large éventail de forces sociales, syndicales, intellectuelles et associatives.
Il faut donc poursuivre le débat. Engager de façon unitaire le débat pour dépasser les contradictions, ou les différences. Et non pas « mettre de côté nos différences »… si elles sont importantes ! Agir pour veiller à ce qu’il ne soit pas un débat uniquement de sommet. Tout en travaillant dans un esprit d’unité, sans chercher à cliver mais plutôt à éclairer les raisons et les enjeux. Et surtout, ne pas camper de façon sta- tique sur l’accord obtenu, comme parfois dans le passé avec le programme commun de gouvernement de la gauche des années 1970. L’important, c’est la dynamique, faire bouger les choses en permanence par l’appropriation populaire des enjeux. Et voir ce qui peut avancer par des luttes, partiellement mais clairement : par exemple une modulation générale certes, mais ne pourrait-on commencer par certaines branches ou secteurs ?
Il ne s’agit donc pas ici d’une quelconque position gauchiste de « tout ou rien »… donc rien ! Il s’agit plutôt de tenir la cohérence essentielle, et sa dynamique. Ne pas seulement se satisfaire d’aller dans le bon sens, mais voir si c’est à la hauteur et si cela fait le poids. Pousser la cohérence. Et ceci, jusqu’à la poursuite d’un débat et d’une dynamique au sein des institutions, voire d’un possible gouvernement de gauche.
Car il faut mesurer l’ampleur des forces qu’on affronte et des dynamiques inverses. On l’a bien vu à plusieurs reprises, par exemple lors du tournant de la politique de la gauche en 1982-1983. On l’a vu aussi lors de la mise en œuvre des 35 heures, sous la gauche plurielle, où ceux qui auraient dû le faire (dont le PCF) n’ont pour beaucoup pas osé dénoncer explicitement que cet objectif social de baisse du temps de travail était assorti de moyens anti-sociaux, comme la baisse des cotisations sociales. Et ceci, non pas dans l’esprit de refuser cette mesure mais pour éclairer l’ampleur du combat à mener, à poursuivre et des contradictions à lever. Seuls quelques-uns l’avaient fait, dont nous sommes.
Il faut en permanence marcher sur ses deux jambes : rassemblement et autonomie ― de parole comme d’action — pour un projet à la hauteur des exigences sociales et des contraintes objectifs, comme des récupérations du système et de l’idéologie dominante. Non pas pour bloquer, mais pour avancer. En ce sens, une intervention politique visant une transformation sociale de portée révolutionnaire pour dépasser le capitalisme, car telle est la question posée aujourd’hui, devrait concevoir la politique, et un parti politique, comme construisant un pont entre le mouvement social, populaire et les institutions. Ni pur tribunitien, ni enfermé dans les institutions, qui doivent d’ailleurs changer. Ni simple facilitateur, ni blanchisseur d’autres forces politiques. Ni museleur du mouvement social populaire au nom d’un compromis nécessaire mais, alors, fétichisé.
Mais éclaireur et co-animateur des enjeux et des luttes, renforçant à la fois la vigueur du mouvement populaire, qu’il peut et doit contribuer à organiser et former, avec un travail patient et rigoureux d’éducation populaire, et renforçant la portée du mouvement par la traduction de ses exigences dans l’élaboration de mesures précises, hardies et cohérentes et dans la façon de les faire vivre.
Bref, il s’agit de renouer avec des pratiques comme celles impulsées à la Libération sur fond d’un puissant mouvement populaire et mondial, pour la création des CE (comités d’entreprise), des nationalisations, ou de la Sécurité sociale, de mise en œuvre de solutions hardies, amenant des compromis à la hauteur des exigences posées par la vie elle-même. Et ceci, de nos jours, dans un monde nouveau où banques, finance, et révolution technologique informationnelle posent des défis objectivement révolutionnaires.

Une alliance de progrès contre la domination du capital ?

Au fond, dans la bataille des retraites se manifeste une solidarisation profonde de toute la société que les marquis de la techno-finance, qui ont progressivement pris le pouvoir, ont totalement sous-estimée. Cette solidarisation a été un grand progrès de civilisation. À travers les vicissitudes actuelles, il en faudra un autre, à la fois social et écologique. Le système de retraites, son financement et sa relation aux entreprises et au travail sera au cœur de ce progrès, au risque d’un effondrement barbare terrible. C’est au cœur de la nuit qu’à partir des luttes et de la critique, il nous faut en élaborer le dessin pour le véritable monde de demain.
Ambition folle ?
Pas plus folle que celle des femmes et des hommes qui dans les années 1940, au cœur de la domination de presque toute l’Europe par la barbarie nazie, se réunissaient pour lancer l’élaboration de ce qui deviendra le programme du CNR (conseil national de la résistance), le programme « Les jours heureux ». Ils se réunissaient, fous et lucides à la fois, non pas pour simplement envisager le « retrait » de l’envahisseur mais pour travailler sur les bases d’une société nouvelle. Aujourd’hui, l’envahisseur c’est le grand capital financier, sa logique, ses pouvoirs, sa culture et le néo-libéralisme. Il s’agit, croyons-nous, de construire une grande alliance de progrès, une solidarisation la plus transversale possible, contre le capital financier et sa domination, pour impulser une autre logique de civilisation, de partage pour chacune et chacun, de préservation et de développement des biens communs pour toute l’humanité, où le développement de chacune et chacun commencera à être un but de la société en soi et la condition du développement de toutes et tous.

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