Transmission des savoirs & enseignement

Déconfinement : vers une école à la carte, garderie patronale pour élèves cobayes virologiques ?

Lundi 13 avril, le président de la République s’est encore adressé au pays. Passons outre la dimension comedia del arte, le ton plaintif pour ceux qui souffrent, qui sont malades et qui, pouvons-nous ajouter, n’ont pu aller bronzer ni à La Baule ni au Fort de Brégançon. Que nous a-t-il dit, quels messages implicites, quels enjeux dans les crises combinées (sanitaire, économie, sociale, politique, éducative, etc.) que nous vivons ? L’intervention le lendemain du ministre de l’Éducation, avec un dosage savamment contrôlé entre rétention et diffusion d’information, permet de préciser l’analyse.

Lundi 13 avril, le président de la République s’est encore adressé au pays. Passons outre la dimension comedia del arte, le ton plaintif pour ceux qui souffrent, qui sont malades et qui, pouvons-nous ajouter, n’ont pu aller bronzer ni à La Baule ni au Fort de Brégançon. Que nous a-t-il dit, quels messages implicites, quels enjeux dans les crises combinées (sanitaire, économie, sociale, politique, éducative, etc.) que nous vivons ? L’intervention le lendemain du ministre de l’Éducation, avec un dosage savamment contrôlé entre rétention et diffusion d’information, permet de préciser l’analyse.

Table des matières

La place de l’école dans les annonces

La forme des annonces est instructive, car jamais dissociée du contenu. Macron s’est voulu rassurant… mais pourquoi ? Pour nous préparer à quoi ? Aucun élément concret n’a été donné sur l’épidémie si ce n’est la décision de ne pas tester tout le monde pour savoir quel taux de la population est immunisé. Pourtant, des tests sérologiques efficaces existent ; leur généralisation impliquerait évidemment de changer d’orientation en matière de sécurité sociale, et de relancer celle-ci plutôt que de saboter sa mission pour favoriser le profit des assurances privées.

Cette absence d’arguments interpelle dans le discours présidentiel : plus aucune nouvelle du « comité scientifique », des décisions non raccordées à des prévisions de l’évolution de la pandémie… On demande aux citoyens de « croire » sans argument, de s’aligner sur l’unité nationale, plutôt que de justifier l’action par des arguments rationnels et affichés. La meilleure façon de leur couper l’herbe sous le pied aux raisonnements irrationnels aux théories du complot n’est pas de cacher les motifs des décisions et d’exhorter à obéir sans comprendre.

Personne ne peut croire Blanquer quand il annonce que ses décisions sont dans l’intérêt des élèves de familles populaires, après tout ce que Blanquer a fait pour éliminer des études supérieures les jeunes d’origine populaire et inégaliser l’école ainsi que le baccalauréat, confirmé par sa persistance à procéder à des fermetures massives de classes notamment dans les quartiers populaires prévus pendant le confinement (c’est par exemple effrayant à Villejuif que je connaisse bien).

Par conséquent, pourquoi les écoles seraient-elles les premières à rouvrir, alors qu’elles ont été les premières fermées avec l’argument que les enfants étaient des propagateurs de virus ? On a singulièrement l’impression que le gouvernement se moque ouvertement de nous : on fermerait les universités pour éviter la contamination, mais on ouvrirait les maternelles alors qu’il est quasi impossible de faire respecter des gestes barrières avec de si petits enfants ? On pourrait faire reprendre l’école élémentaire et le collège, mais on ne pourrait pas maintenir des épreuves réduites et adaptées du baccalauréat ? Je ne reviens pas ici sur les manipulations pour instrumentaliser la crise en imposant la réforme du baccalauréat au contrôle continu…

Une école incubatrice, des écoliers cobayes ?

La première raison est probablement liée au calcul de la gestion de la crise sanitaire. La date choisie semble correspondre, d’après des analyses parues dans la presse, à celle du désengorgement relatif des services de réanimation. Cela laisse à penser que la stratégie gouvernementale, non explicite, face à l’épidémie, consisterait à exposer la population par vagues, pour faire progresser l’immunité collective, en utilisant l’école comme lieu de contamination contrôlée que l’on ouvre et ferme selon les territoires pour gérer les flux dans les hôpitaux… Cela pourrait expliquer le ton « rassurant » à tout prix de Macron… pour faire admettre que les enfants et leurs familles vont être des cobayes virologiques. Sans vaccin disponible contre le COVID, et puisque les crédits de recherche ont été coupés pour des études sur des solutions plus larges contre les virus émergents (voir l’article de Bruno Canard, dans L’Humanité du 17 mars), la question de faire progresser l’immunité n’est pas dénuée de sens, mais elle mérite un débat éclairé et démocratique, nos gouvernants ne sont pas des princes, ils doivent des comptes à leurs électeurs.

Cette façon de procéder, où les enfants sont instrumentalisés comme propagateurs de virus, est inquiétante sur les conséquences dans les relations sociales, dans le voisinage entre familles qui ont des enfants et celles qui n’en ont pas, mais connaissent des risques de fragilité.

Cela veut aussi dire que sont créées les conditions pour que les personnels scolaires, mais aussi d’entretien, soient malades les uns après les autres : sachant que le contingent de remplaçants est déjà très réduit dans une logique d’austérité, comment va-t-on enseigner, et ne pas se retrouver dans une situation de garderie ? Surtout que les élèves, ou leurs familles, vont être malades et donc absents à tour de rôle, et qu’ils devront donc rester confinés sans apprendre à distance : leur retour dans le groupe classe suppose donc une remise à niveau, donc des enseignants suffisamment nombreux pour constituer des groupes.

Une école garderie patronale ?

La deuxième vraie raison saute aux yeux : les injonctions du patronat l’ont dévoilée, il s’agit de libérer les salariés pour produire, peu importe leur sécurité. Le maintien de l’activité économique ne doit pas faire l’objet d’un rejet trop rapide, car l’approvisionnement en denrées vitales pose de vraies questions, et, car les conséquences vont être durables de la crise financière qui avait déjà commencé et qui est décuplée par le coup d’arrêt de la production. Mais la priorité est à la sécurité, aux besoins essentiels, et pas aux profits. Comment va-t-on sécuriser 12,4 millions d’élèves et les milliers d’enseignants, d’ATSEM, de CPE, etc. ? Pour faire porter deux masques par jour à cette population, il faut disposer de l’équivalent de ceux qui sont consommés par l’ensemble des soignants du pays en une semaine… Quelles garanties a-t-on sur la disponibilité de ces équipements, quand on connait la pénurie actuelle et les difficultés de l’industrie française provoquées par des décennies de délocalisation pour accroitre les profits des actionnaires ? Aucune information non plus sur les gants, le gel, le savon, le personnel suffisant pour nettoyer ne les toilettes plusieurs fois par jour, etc. Les conditions sanitaires d’accueil interrogent dans les établissements scolaires, quand les politiques d’austérité ont quasiment fait disparaitre les médecins et les infirmiers scolaires, ainsi que les psychologues scolaires… Sauf, comme écrit ci-dessus, si la reprise est décidée en conscience que ces conditions ne seront pas réunies afin de contaminer et donc immuniser à terme ceux qui auront survécus.

Élus et personnels en difficulté, le besoin de nouveaux moyens pour l’école

En plus de la disponibilité des masques et des gants, quels moyens sont mis en place pour la désinfection régulière des locaux, la présence de gel dans chaque pièce, etc. ? Une pareille logistique est énorme pour les collèges et lycées, respectivement en charge des départements et des régions. Mais que dire des écoles primaires, dont une bonne partie dépend de petites communes, avec peu de personnel et les moyens financiers qu’implique la mise en place de telles conditions de sécurité. Si le défi est nécessaire, comment est-il anticipé ? Sur plus de 35 000 communes, la moitié compte moins de 500 habitants. Les conditions seront-elles égales selon les ressources des collectivités ? Aucune information n’est arrivée sur un fonds d’urgence pour les aider dans cette perspective, alors qu’il semble crucial.

Comment faire pour que les élèves restent à 2 mètres les uns des autres ? La maternelle pose en soi un problème redoutable… Et même pour l’élémentaire et le secondaire, beaucoup de groupes classes ont des effectifs importants, dans une pièce limitée, qui rend la décision impossible à appliquer. Il faudrait alors des locaux pour dédoubler les classes, mais aussi du personnel enseignant pour chacun de ces groupes. Même une scolarisation en alternance de la moitié de la classe poserait des problèmes redoutables de désinfection.

Et avec les arrêts maladie à prévoir chez les personnels, ainsi que celui de remise à niveau des élèves par vagues de maladie des familles, le problème va être accru.

L’occasion pour Blanquer de saper davantage l’école publique ?

Le ministre a fait comprendre que le retour à l’école à partir du 11 mai serait progressif, et pas tout à fait obligatoire (il n’a pas été question pour l’instant de demander aux Franciliens exilés de rentrer vers leur cluster). Et l’insistance des exemples pris par le ministre sur les classes populaires montre bien qu’il s’agit d’abord de libérer le travail d’exécution pour les employeurs, ceux qui ont des logements plus exigus et n’ont pas les mêmes possibilités de se passer de revenus pendant plusieurs mois, ni de faire l’école à la maison : leurs enfants seront donc ciblés pour être des cobayes.

Ceux qui en ont les moyens pourront continuer la garde à la maison, l’école à domicile, à grand renfort de cours privés en ligne et autres outils payants qui profitent de la situation. Au demeurant, si elles sont moins exposées, ces familles paient aussi le prix du confinement, du tiraillement des adultes entre tâches domestiques, éducatives et télétravail.

Au-delà des semaines très particulières qui vont avoir lieu d’ici l’été, la question se pose sur la durée. De fait, sans groupe classe, avec une relative division sociale des populations qui vont reprendre, Blanquer n’est-il pas en train d’instrumentaliser la crise, pour pousser vers une école publique qui assure un service minimal ? Et inciter ceux qui le peuvent à compléter ailleurs, soit à partir dans le privé, soit à changer d’établissement public au recrutement sélectif (et bien pourvu en option pour le collège et le lycée, critères devenus décisif avec la réforme inégalitaire du lycée), soit encore à recourir à l’appui familial, à des cours privés, au CNED, etc. ? La crise semble être un test grandeur nature avec les expérimentations d’enseignement à distance, les propos méprisants envers les enseignants (aux fraises…), etc., pour transformer l’école publique en garderie améliorée, et externaliser au maximum les missions de transmissions de savoirs. Faut-il envisager aussi que les « vacances apprenantes », les colonies parascolaires qu’il appelle de ses vœux, ne soient pas que des solutions ponctuelles, mais un vaste plan pour inviter à des solutions privées, qui préparent le désengagement encore plus net de l’école publique égale possible sur tout le territoire ?

De fait, la « continuité pédagogique » avait transformé les enseignants en distributeurs de liens web et de fiches à distance. Blanquer et Macron semblent tentés par l’accroissement de l’austérité et de la précarité enseignante : face aux besoins, en remplaçant à minima, en recrutant des précaires non formés pour accroitre ces logiques d’école à minima et en différenciant totalement les objectifs selon les caractéristiques sociales des familles.

Besoin d’un virage à 180°

Plutôt qu’une école qui donne aux élèves ce que leurs familles peuvent, le besoin grandi encore de transmettre une culture commune, des savoirs qui permettent à chacun de conquérir de nouvelles manières de penser.

Plutôt que l’individualisation des objectifs et donc la mise en compétition des élèves selon leurs origines sociales, tous ont intérêt à apprendre ensemble, à coopérer.

Plutôt que d’opposer les familles les plus populaires et celles de cadres salariés, la crise montre au contraire que toutes ont besoin d’une scolarité de qualité à proximité : personne n’a rien à gagner à ce que sa famille soit encore plus écrasée par le temps et les enjeux consacrés à la scolarité, ni à parcourir des kilomètres tous les jours. L’école doit se faire à l’école, et dans tous les territoires.

Plutôt que de poursuivre les politiques d’austérité et d’inégalisation qui ont cours depuis trop longtemps, plutôt que d’instrumentaliser les crises sanitaires et économiques pour les amplifier et ainsi aggraver les inégalités scolaires, il faut un virage à 180°, avec un plan massif de recrutement d’enseignants titulaires, pour assurer la réelle continuité pédagogique d’une année sur l’autre, en adaptant l’année prochaine pour raccrocher tous les élèves et lisser les programmes dans la durée. Cela implique un plan massif de remise en place de la formation continue, massacrée depuis quelques décennies, pour que les nouveaux recrutés puissent se mettre au niveau des défis qui se présentent. La crise actuelle montre la capacité des gouvernants à débloquer des milliards pour venir en aide au profit et aux actionnaires, c’est donc tout à fait possible pour les besoins des enfants.

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